Censure des médias et liberté d’expression

À BDS, on ne répond pas « à tout prix ». Une fois par exemple, j’ai été invitée sur le plateau des « Grandes Gueules Moyen-Orient » [sur i24 News, NDLR]. Le dispositif est catastrophique puisque tout le monde parle en même temps. Participer à ça, ce n’est pas faire valoir sa position mais donner du crédit à l’émission. Donc ce genre d’invitations, c’est clair et net, on n’accepte pas. De manière générale, on sait que les médias ne s’intéressent pas à ce que l’on fait et dit. On aurait pu penser que BDS soit très sollicité dans la période actuelle, d’autant que beaucoup de gens rejoignent la campagne et que d’autres collectifs posent la question du boycott, y compris dans les universités. Tout cela mériterait des éclaircissements et il se trouve qu’on aurait plein de choses à dire. Mais les médias ne nous interrogent pas. Ils ne veulent pas savoir. On ne peut compter que sur les mobilisations. Le succès de BDS ne s’explique pas du tout par la visibilité médiatique mais par nos actions concrètes, les formations et les réseaux sociaux.

Tous ces récits à propos de la médiatisation de Sciences Po et de BDS me semblent vraiment symptomatiques. Les médias, ce sont des institutions, des structures qui sont soumises à des pressions. Il s’y joue bien sûr un phénomène d’adhésion idéologique, lequel filtre par exemple qui va s’exprimer ou non, mais je pense qu’il y a une réelle censure et autocensure sur cette question, qui n’est pas non plus sans lien avec la question de l’énorme répression qui sévit actuellement sur les réseaux sociaux, cette répression vise de simples individus ou militants : il y a une multitude de cas scandaleux de procès, perquisitions, gardes à vues, qui partent d’écrits sur les réseaux sociaux, des espaces médiatiques où est censée exister une liberté d’expression, où on peut parler, créer une conscientisation, une sensibilisation. Ce sont des méthodes d’empêchement. Empêchement d’agir et de visibiliser aussi des actions et des manifestations, peu ou pas couvertes par ailleurs, et qui continuent d’être conditionnées ou interdites.

Donc censure, répression… et intimidation : c’est extrêmement coûteux d’être visible sur la question palestinienne. Il n’y a pas une personne qui milite sur cette question qui, d’une manière ou d’une autre, n’en subit pas les conséquences (dans sa vie professionnelle, sous forme de harcèlement, de diffamations, de menaces, etc.). Et en réalité, je n’ai même pas envie d’utiliser le terme « pro-palestinien ». On parle simplement de personnes qui souhaitent contextualiser et même pour elles, c’est coûteux. Ça a été peu documenté mais en France, des intellectuels ou des personnalités ont été mis au ban en raison de leur expression sur la Palestine. Il y a une gradation dans le sens où la pression est plus force si tu es racisé, mais on a vu des gens presque « intouchables » subir des pressions. Tout cela, ça fait que les gens ont vraiment peur. Ça écrase. Même s’ils sympathisent, d’autres préféreront se taire pour éviter les problèmes. Mais ça non plus, ça n’est pas médiatisé. Et je tiens à dire que moins on sera, plus ça sera dangereux. Moins les médias invitent de gens qui ont un discours un peu différent, moindre est la masse critique et plus les quelques personnes restantes seront fragilisées et ciblées. C’est un système, dans lequel les grands médias jouent un rôle. On est pourtant sur des mouvements de solidarité ultra pacifistes, à l’image du boycott. On fait des rassemblements, des sit-in, des « die-in », des réunions d’information, qu’est-ce qu’on peut faire de plus ? Mais même pour ça, il n’y a pas d’espace. La volonté est réelle de ne pas entendre et de ne pas faire entendre les Voix dissidentes en France.

Extrait d’un article dans Médiacritique(s), magazine trimestriel d’Acrimed, de janvier 2025.

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