Casseur de droits

Le 23 décembre 1981, la gauche remporte un de ses plus beaux trophées. Sous les signatures de François Mitterrand, Pierre Mauroy et Robert Badinter, la loi anticasseurs, de sinistre mémoire, portée par Marcellin après Mai 68, qui introduisait dans le code pénal une responsabilité collective des violences commises par des manifestants, est abrogée.

La droite revenue au pouvoir va certes créer un nouveau délit, celui de groupement en vue de commettre des infractions, destine « à nettoyer les racailles au Kärsher », selon la célèbre expression de Sarkozy.

C’est ce qui va être utilisé contre tous les manifestants opposés à la loi travail puis contre les gilets jaunes, la Cour de cassation ayant à nouveau rappelé, en 2017, que le vieux délit de refus de dispersion était une infraction politique avec des garanties procédurales pour les prévenus incompatibles avec une répression expéditive.
Mais la droite n’osera pas rétablir la loi anticasseurs.

Il a suffi de quelques tags, d’une statue cassée mais surtout d’une grande trouille pour qu’Édouard Philippe ose dépasser tous ses prédécesseurs. Sans vergogne, le gouvernement a repris un projet de loi déposé au Sénat par la droite pour inventer l’interdiction préventive de manifestation. La principale nouveauté du projet, actuellement discuté au Parlement, c’est qu’elle donne aux préfets, représentants salariés du gouvernement, le pouvoir de décider qui a le droit de manifester, alors que toutes les démocraties réservent le contrôle de cette liberté fondamentale à des magistrats judiciaires indépendants, qui statuent à l’égard de délinquants dont la culpabilité a été établie.

il suffit désormais qu’au doigt mouillé, et à l’aide de notes blanches secrètes, le préfet considère qu’une personne constitue « une menace d’une particulière gravité à l’ordre public ».

Pour s’assurer de l’efficacité de la mesure, le préfet peut convoquer le quidam à l’heure de la manifestation. Le récalcitrant encourt une peine d’emprisonnement.

Les voies de recours, coûteuses, à supposer qu’elles soient utilisées, seront examinées trop tard par le tribunal administratif pour être efficaces. Il faut rappeler que la plupart des assignations à résidence prononcées à l’occasion de la COP21 ont été annulées trop tard.

De toute façon, un nouvel arrêté peut être édicté pour chaque manifestation, ce qui rend tout recours illusoire. Le gouvernement peut désormais choisir les manifestants autorisés à s’opposer à sa politique.

On connaissait la justice préventive qui consiste à condamner quelqu’un pour ce qu’il pourrait faire, voici désormais la police politique préventive. La droite l’a rêvé, Macron l’a fait.

Article de Dominique Tricaud dans Siné mensuel de mars 2019.

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