Au nom du maintien de l’ordre

Le documentariste Paul Moreira, avec Au nom du maintien de l’ordre dévoile comment les opérations de police se sont militarisées en France et dans le monde.

Comment sont nés vos documentaires, que l’on peut voir sur Arte TV ?

Je crois que c’est le 8 décembre 2018, quand j’ai vu pour la première fois des blindés dans les rues de Paris. J’en ai compté huit. Je venais de couvrir la bataille de Raqqa contre l’État islamique en Syrie, où il n’y en avait qu’un seul. Je me suis demandé ce qui se passait. Et puis les mutilés… J’étais horrifié de voir des gens rentrer chez eux avec un œil en moins après une manif. Tirer contre les civils, j’avais vu ça en Syrie en 2011, ou en Égypte. Mais là, en France ! Au début, je voulais enquêter sur le lanceur de balles de défense, le LBD. Puis mon sujet s’est élargi. Je crois que ce qui m’a le plus choqué, c’était une manif syndicale en 2022. L’ordre public façon Didier Lallement, le préfet de police de Paris : les manifestants encerclés par des gendarmes dont un sur cinq portait un fusil d’assaut à l’épaule. Une nasse mobile d’où personne ne sort. Le préfet expliquait que la police devait se substituer aux services d’ordre des syndicats pour éviter l’intrusion des éléments malfaisants. La manif était encagée.

Comment en est-on arrivé à cette répression des mouvements sociaux avec des moyens militaires ?

Pour mon dispositif narratif, je compare le défilé du 1er mai 1971 à celui de 2021. Je laisse parler les images. En 1971, les flics regardent passer les gens en parlant de ce qu’ils vont faire le week-end prochain. Les manifestants marchent avec leurs enfants, en famille. Les cortèges syndicaux, c’était une sorte de tradition française, que même les policiers disent regretter. En 2021, des flics équipés comme des cow-boys de l’espace montent à l’assaut dans une atmosphère de chaos total. Mon film cherche à comprendre comment on en est arrivé là. La première manifestation massive réprimée avec des moyens militaires, la manif zéro, c’est à Seattle, aux États- Unis, les 29 et 50 novembre 1999, lors de la convention ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce. Le mouvement altermondialiste, des syndicalistes, des anarchistes étaient venus protester contre la mondialisation. Et pour la première fois, des tanks sont positionnés contre les manifestants, des munitions en caoutchouc utilisées contre la foule. J’ai interviewé l’homme qui a donné l’ordre de tirer. Norm Stamper, l’ancien chef de la police de Seattle, reconnaît aujourd’hui que c’est « la pire erreur » de sa carrière. « J’ai mis de l’huile sur le feu », admet-il. Sur les images d’archives, on le voit répondre à un journaliste qui lui demande pourquoi il a donné cet ordre. Des manifestants « fonçaient sur nos lignes », dit- il. Mais le journaliste témoigne que les gens étaient assis. Vingt ans plus tard, il revient sur ses propos et explique que les citoyens qui bloquaient le carrefour étaient « inoffensifs ». « Dans la mentalité policière, un carrefour, il faut que ça circule », dit-il.

Début d’un article de Siné mensuel de septembre 2023.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *