Le mal-accueil

Jamais je ne me suis senti « sans-frontiériste », au contraire : les frontières, qu’il y ait un dedans et un dehors, me paraissent nécessaires à la Nation, à la République. Il faut un espace commun pour des règles communes que 1’on fixe et que 1’on respecte. Des frontières pour les marchandises, des frontières pour les capitaux, mais des frontières aussi pour les personnes. Des frontières qui ne sont pas des murs, imperméables, plutôt des membranes, poreuses, où l’on peut entrer, sortir, avec un filtre. Une fois en France, en revanche, je suis pour un plein accueil, pour un bon accueil.

Pourquoi ? Par humanité, sans doute. Mais par efficacité, aussi. Nous devons en finir avec le « mal-accueil », qui s’est amplifié, qui est même théorisé. Je l’ai vu, durant mes décennies de reporter, en Picardie, à travers cent destins que je pourrais raconter. Ce sont des hommes, des femmes, qui ont traversé des guerres, des continents, des océans, qui viennent ici pleins d’envie et d’énergie et que, bizarrement, l’on s’efforce de décourager, avec l’épreuve lente de l’attente, avec l’interdiction de faire, d’agir, juste se replier, se rétracter. Cent fois j’ai connu ces situations absurdes. Marie-jo, dernièrement, qui porte une association, qui organise des défilés de mode africaine, qui est saluée par la Ville, qui fabrique nos bonnets phrygiens pour le 14 juillet, ici depuis près de dix ans et qui reçoit à son tour une QQTF. Ou encore une famille géorgienne, les enfants scolarisés ici depuis la maternelle, ne parlant que le français, décrits comme des « élèves modèles » par leurs enseignants, mais qui doivent pointer au poste de police, en centre-ville, le soir à la sortie de l’école. Et les pétitions de parents, d’habitants, qui circulent pour les régulariser. Quel gâchis ! Eux auraient mieux à faire pour notre pays, d’autres richesses à apporter, que de s’enliser dans ce labyrinthe administratif, judiciaire. […]

C’est par le travail que, un siècle durant, les Italiens, les Polonais, les Espagnols, les Portugais, les Algériens, se sont intégrés. Mais ce pilier travail, ensuite, à partir des années 80, avec les usines qui délocalisent, le chômage qui monte, le marché de l’emploi qui se resserre, a flanché. Pourtant, durant la crise Covid, l’immigration s’est révélée, a révélé son utilité. Parmi ces femmes et ces hommes « sur lesquels notre pays repose », comme disait le président de la République pendant la crise Covid, parmi eux, nombreuses, nombreux sont immigrés. Ce sont elles, eux, qui font le ménage. Elles, eux, qui s’occupent des personnes âgées, à domicile ou dans les Ehpad. Elles, eux, qui tiennent la caisse. Elles, eux, qui acheminent les marchandises, dans la logistique, la manutention ou les camions. Le lundi 16 octobre, au collège César Franck, à Amiens-Nord, j’assistais à l’hommage rendu à Samuel Paty et Dominique Bernard. Dans la classe, au milieu de Picards, des enfants afghans, maliens, algériens… « Je ne leur mens pas, me confie l’enseignant d’histoire, Eric Mehimmedetsi, je leur dis la vérité : je suis là pour en faire des Français. » Il nous faut ce bon accueil, plein et entier, et non au rabais, avec ce but clairement énoncé : faire des Français, faire des Français aux origines diverses, variées.

Extraits d’un article de François Ruffin dans le journal Fakir de décembre 2023.

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