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De la peur à la haine
Le ressort qui conduit chez l’extrémiste (Zemmour) porte un nom : la peur. Peur de l’autre. Peur d’un monde qui change plus vite que jamais. Peur de l’avenir. Ce sentiment obsessionnel et irrépressible suintait, dimanche, dans toutes les phrases de l’ex-petit journaliste du Figaro. Lui a trouvé l’unique cause de toutes nos peurs. Appelons-la « les Arabes ». Les mots codés sont répétés à satiété pour ne pas prononcer celui-là : « immigration », « musulman », « islamisme », « terrorisme », « délinquance »… comme symboles et boucs émissaires d’un « autre » venu d’ailleurs et fantasmé, et auquel il faut déclarer une guerre intérieure.
Zemmour n’est certainement pas l’héritier de la tradition juive, mais il est clairement l’héritier du passé colonial. Revanchard de la guerre d’Algérie, avatar retardataire de l’OAS. Il regrette un monde où chacun, à l’abri de ses frontières et de ses armes, contemplait l’image qu’il se fait d’une pureté originelle. » L’origine, ça n’existe pas », disait pourtant le grand historien Marc Bloch. Il y a toujours un avant, fait de rencontres et de mélanges.
Ce que fait Zemmour, c’est convertir ce sentiment de peur en haine. Et pour cela, il crée un récit. Réinventer le monde d’avant serait possible. Il recrute parmi ceux qui ne veulent pas prendre acte de la réalité. Les guerres, les inégalités Nord-Sud – si honteusement perceptibles à propos du vaccin -, les virus et le réchauffement climatique sont balayés. Tout ce qui peut fonder nos vraies peurs, et devrait conduire chez Mélenchon, Jadot ou Fabien Roussel, est jugé trop complexe, pas assez incarné. Mais le pire serait de nier que les changements sont réels. Le métissage des cultures n’est pas une idéologie, c’est un fait irréversible.
Mélenchon parle de « créolisation ». Concept qu’il emprunte à Édouard Glissant. Le poète martiniquais la définissait comme « un métissage qui produit de l’imprévisible ». Ce qui peut inquiéter, mais peut aussi exalter un sentiment de liberté et permettre de refonder une société démocratique et humaine qui organise le mélange sans demander aux nouveaux venus qu’ils abjurent leur culture.
Ce qui nous ramène à ces intermédiaires dont je parlais à l’instant. La défiance à l’égard de l’autre, qui va devenir la haine chez Zemmour ou Le Pen, commence à droite, chez Macron ou au sein de la vieille gauche. C’est là que les amalgames prennent corps après un attentat islamiste. C’est là que se font les lois dites anti-séparatistes, qui oublient que la séparation est d’abord sociale. C’est là que l’on détourne la laïcité pour en faire une arme antimusulmane.
Extrait de l’éditorial de Denis Sieffert dans Politis du 09 décembre 2021.