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Bernard de Mandeville – La fable des abeilles
Ce petit texte (12 pages), qui a été soigneusement occulté au grand public a été publié en 1714 avec le texte le plus connu de Mandeville, La fable des abeilles.
C’est vraiment le début du règne du divin Marché et du capitalisme.
La Fable… diffuse la maxime selon laquelle : « Les vices privés font la vertu publique ».
Ce qui veut dire qu’il faut laisser aller les pulsions, notamment d’avidité, à leur finalité pour que de la richesse se crée chez quelques-uns avant qu’elle ne ruisselle ensuite sur les autres. Ce texte, puisqu’il encourage explicitement les vices (tout est bon pour s’enrichir), a été considéré comme diabolique et a été condamné par le grand Jury du Middlesex en 1725, puis mis à l’index et brûlé par le Bourreau sur la place de Paris en 1745.[…]Pour que cette « morale » passe sans qu’elle provoque de soulèvements, il faut faire en sorte que les individus se tiennent tranquilles. C’est là qu’intervient l’ « art de gouverner » mis au point par Mandeville, Si l’on veut que les hommes, égoïstes par nature, se tiennent tranquilles, il faut les amener, dit-il, à modérer leurs appétences. Avant, dans les anciens régimes, il y avait le joug et la servitude forcée. Mais depuis la révolution anglaise de 1689 qui a posé les fondements de la démocratie, c’est la « ruse » qu’il faut employer. En effet, aucun argument raisonnable ne saurait persuader les hommes de suivre la moindre recommandation de modération. Pour qu’ils consentent à obéir aux lois, il ne reste donc – rançon de leur égoïsme – qu’à les « payer ».
Mais, comme ils sont nombreux et qu’il n’y aurait jamais assez d’argent pour tous les rémunérer, il faut les dédommager avec une monnaie… qui ne coûte rien – sinon un peu de vent. C’est en effet « en parole » qu’on peut les payer, avec des flatteries célébrant l’étendue de leur entendement, leur merveilleux désintéressement personnel, leur noble souci de la chose publique. Cette façon de circonvenir les hommes, utilisant le phantasme de leur vertu, constitue, pour Mandeville, l’essence du Politique, le cœur de l’économie politique en démocratie. Seule cette politique de la flatterie est susceptible de pouvoir faire vivre les hommes ensemble par la modération de leurs appétences.
Il en résulte deux classes, au sens plus psychologique que sociologique du terme. Un petit nombre auprès de qui cette politique n’est pas efficace composent une classe d’individus courant sans cesse derrière les jouissances immédiates et ne pensant qu’à leurs avantages personnels : c’est la classe dangereuse composée des bandits, des voleurs, des proxénètes, des prostituées, des mendiants, des trafiquants… Mais cette petite classe vile d’irréductibles est fort utile car elle agit comme un répulsif qui permet en regard la création d’une large classe vertueuse composée de créatures qui se targuent d’avoir réussi la ou les autres ont échoué.
Nous voici avec deux classes. C’est là où le génie de Mandeville s’exprime. Il montre que cette manipulation politique n’a qu’un but : créer une troisième classe, invisibilisée, composée des « pires d’entre tous les hommes », qui se caractérisent de « faire semblant d’obéir à la loi » dans un double but : profiter du prestige des vertueux et, surtout, tenir tout le monde tranquille afin d’en tirer tous les bénéfices possibles.
Ceux de cette troisième classe simulent l’abnégation (en parlant comme ceux de la classe vertueuse) et dissimulent leurs penchants (qui les rattachent à la classe vile) en prônant le bien public.
Ils forment donc cette troisième classe d’ambitieux qui récoltent tous les bénéfices, qui font tourner les affaires et qui, grâce à leur double jeu, peuvent gouverner avec facilité. Il leur suffit en effet de prêcher l’esprit de dévouement au bien public pour mieux contraindre à l’abnégation et à l’honnêteté tous les autres en les faisant au besoin bêler de concert contre la corruption – ce qui permet de les faire ainsi travailler à leur service afin de récolter tranquillement les fruits de leur labeur.
Extrait d’un entretien du philosophe Dany-Robert Dufour (Baise ton prochain – une histoire souterraine du capitalisme) dans la revue Les Zindigné(e)s de octobre-décembre 2019.