Société de provocation

Pourquoi parlez-vous, à propos des ultrariches et de lu démentielle concentration de richesses entre leurs moins, de « provocation » et d’ « obscénité »?

Ce terme de « société de provocation » est une expression que j’emprunte à Romain Gary, tirée de son roman Chien blanc. Il y décrit une société de surconsommation. indissociable de l’affichage affirmé d’un luxe ostentatoire, permettant à une toute petite minorité de personnes de s’acheter des biens comme des yachts ou des manoirs, alors que, dans le même temps, le même ordre social va empêcher une fraction de plus en plus importante de la population de subvenir à ses besoins les plus élémentaires. C’est bien ce à quoi nous assistons de nos jours, que ce soit chez moi en Amérique du Nord ou dans la riche Europe – et chez vous en France, me semble-t-il. Mais ce qui a retenu mon attention dans cet ensemble de provocations de la part des ultrariches, c’est le fait qu’il n’y ait pas de réponses collectives suffisamment fortes pour les arrêter, en tout cas de volonté politique pour cela.
Je n’ai pas la réponse concrète à cet état de fait, et le problème n’est pas tant que certains puissent s’acheter des biens de luxe, mais qu’ils puissent les exhiber aussi fièrement en toute impunité.
Par exemple, en juin dernier, Elon Musk a été reçu par Emmanuel Macron, qui a tâché de le convaincre d’installer en France une usine Tesla, et il a été érigé partout en héros, dans la presse et sur tous les plateaux de télévision. Le fait qu’on lui prête de si formidables « qualités » participe de ce modèle de société où l’on nous fait croire que nous serions tous des riches en devenir. Au Canada, et en Amérique du Nord plus généralement, tout est fait pour que les habitants se sentent appartenir à une grosse classe moyenne qui, tout entière, admire le mode de vie de ces ultrariches et y aspire. Et qu’ils soient prêts à tout pour le défendre, alors que l’on sait parfaitement que ce mode de vie n’est plus viable.
Mais c’est comme la carotte que l’on vous tend devant le nez pour vous faire avancer : alors que la classe moyenne elle-même est attaquée sur tous les fronts, sur toutes les assises qui l’ont fait vivre dans une certaine prospérité, ses membres continuent de vouloir croire que cela va continuer, que les enfants vivront mieux que leurs parents, alors que ce modèle ne pourra pas se maintenir. Et les ultrariches, paradoxalement, sont l’illustration de cette impasse.

Extrait d’un entretien de Dahlia Namian (sociologue québécoise : La société de provocation) dans Politis du 07 septembre 2023.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *