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Sobriété et décroissance
La sortie du président Macron sur « la fin de l’abondance » et « la nécessaire sobriété » a relancé l’intérêt pour les projets de consommation/production responsable, et plus généralement tout ce qui touche à la dé-consommation et à la production alternative. Elle a aussi provoqué un débat sur les rapports entre « sobriété » et « décroissance ». Une véritable casuistique a ainsi vu le jour pour tenter d’éviter le rapprochement entre les deux. Ainsi M. Macron lui-même précise que la sobriété, « ça ne veut pas dire aller vers une économie de la décroissance. Pas du tout. La sobriété ça veut juste dire gagner en efficacité ». Élisabeth Borne s’en fait l’écho – « La sobriété énergétique, ce n’est pas produire moins et faire le choix de la décroissance » -, suivie par la péremptoire ministre de la Transition écologique, la très productiviste Agnes Pannier-Runacher : « La sobriété, c’est pas la décroissance. » À l`inverse, pour Dominique Bourg, écologiste suisse lié à la fondation Nicolas Hulot : « Il n’y a pas opposition entre sobriété et décroissance, la sobriété, c’est le volet subjectif dont la décroissance est le volet objectif. » Autrement dit, la sobriété est une décroissance subjective et la décroissance une sobriété objective. Jean-Marc Jancovici ne dit pas autre chose, bien qu’il prétende concilier sobriété et capitalisme… Or, après trente ans de mise en orbite du développement durable, la sobriété, déclinée dans toutes ses formes, sans rupture avec l`économie de croissance, ne conduit qu’à une impasse. Il convient donc de comprendre pourquoi et en quoi la décroissance – qui vise, selon la formule du grand écologiste italien Giorgio Nebbia, « à substituer à une société d’abondance pour quelques-uns une société de suffisance pour tous » – est une nécessité.
L’impasse des « petits gestes »
La sobriété et son doublon, la frugalité, se définissent par la tempérance, la continence, la modération, bref le sens de la mesure et le respect des limites. En tant que recommandations morales, ces « vertus » sont largement indépendantes de tout rapport avec la croissance ou la décroissance. L’usage en est très antérieur à l’apparition d’une économie et d’une société de croissance, c`est-à-dire de la civilisation productiviste/consumériste. Tous ces mots évoqués sont les mots-clefs de toutes les sagesses, y compris en Occident jusqu`à la Renaissance (avec, entre autres, l’épicurisme, le stoïcisme, le cynisme, avant leurs reprises comme vertus chrétiennes). Avec le tournant éthique inauguré par Bernard de Mandeville (1670-1733), ces vertus disparaissent de la scène occidentale tandis qu’elles persistent, au moins jusqu`à la mondialisation, à tenir une place importante partout ailleurs sur la planète. Si cette éthique de la mesure n’est pas totalement détachée d`un souci plus ou moins conscient du respect des équilibres naturels, elle est surtout prônée pour la bonne cohésion de la société et le maintien de relations sociales harmonieuses.
Début d’un article de Serge Latouche dans le journal La Décroissance de juillet 2023.