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Sciences économiques et changement climatique
Sciences économiques
Nicholas Stern est un économiste britannique hautement galonné, d’envergure internationale avec le titre respectable de Professeur à la London School of Economics – « LES » pour les initiés.
Ancien employé de la Banque mondiale et tout juste anobli par sa très gracieuse majesté la reine d’Angleterre, rien ne laissait prévoir qu’en 2006 il puisse se faire remarquer en traitant le sujet brûlant du moment.PIB et réchauffement climatique
On ignore pourquoi, en cette année, le gouvernement ultra-réactionnaire et néolibéral de Tony Blair eut l’idée de lui commander une dissertation difficile sur le thème du PIB et du réchauffement climatique. Il est vrai qu’en cette décennie 2000, la chronique était climatique, animée par les négociations au finish pour l’entrée en vigueur du Protocole de Kyoto.
Mais elle l’était tout aussi bien par la furie des gaz de schiste aux États-Unis ; en Europe, l’Angleterre affairiste à l’odeur alléchée s’apprêtait, elle aussi, à dérouler le tapis rouge devant les compagnies pétrolières et, si nécessaire, à donner de la matraque sur les populations potentiellement impactées par le « fracking » ou fracturation hydraulique.Chassé-croisé au pays d’Adam Smith, alors que Tony Blair avait converti le Labour Party au thatchérisme, son illustre conseiller économique Nicholas Stern décida, on ne sait pas pourquoi, de convertir les économistes à l’écologie ou du moins à la climatologie.
Le chargé d’étude s’acquitta de sa tâche avec brio et fit sensation. Il sorti de l’ombre et devint célèbre avec un énorme rapport de près de 700 pages : The « Stern Review on the Economics of Climate Change« .[…]
Dogmes
Ainsi, pour la première fois dans l’histoire de la spécialité, un économiste orthodoxe réputé, Lord Stern, transgressait dans un rapport officiel au gouvernement britannique les dogmes de l’économie et de l’idéologie libérale. La croissance du PIB pouvait être affectée par les dégradations rapides de la planète et la main invisible ne pourrait rien faire pour sauver la situation. Hérésie mortelle, une action concertée des États à l’échelle de la planète s’imposait. Un comble au pays d’Adam Smith.
Le rapport fit l’effet d’une bombe dans le microcosme des économistes et bien évidemment les rares personnes gardiennes du temple et des dogmes qui firent l’effort de lire l’énorme pavé traîtreusement lancé par un Lord dans la marre des sciences économiques s’empressèrent de crier à l’imposture méthodologique, choisie à dessein pour noircir le tableau. Pourtant, Nicholas Stern dans sa savante démarche comptable restait dans les clous de l’orthodoxie.
Obscurantisme
Il était donc irréprochable et même méritoire en tant qu’économiste puisqu’en définitive il sortait sa spécialité de l’ornière obscurantiste où elle s’enfonçait depuis le triomphe du néolibéralisme. Et, cerise sur le gâteau, son rapport sauvait la face des « sciences économiques » qui, en cette décennie 2000, ne pouvaient plus faire l’impasse sur la menace du dérèglement climatique sans se décrédibiliser à jamais.
En cette première année d’entrée en vigueur du Protocole de Kyoto, les (vrais) scientifiques des sciences de la Terre étaient au plus haut point préoccupés par l’état de la planète et de l’atmosphère ; comment les économistes pouvaient-ils encore prétendre à un statut de science à part entière en continuant à ignorer la triste réalité du monde ? Après la déchéance des scientifiques climatosceptiques, démasqués à la solde des pétroliers, les économistes n’avaient pas d’autre choix que de se remettre à la page.
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L’idée même que le PIB puisse être égratigné et cesser de croître était effectivement hétérodoxe et a pu être vécu comme une haute trahison dans le microcosme de la science économique. « Donnez pour sauver le PIB ! », tel était le message sacrilège du rapport Stern face à la doxa néolibérale dominante ; la main invisible était mise au rancart […]
PIB mortifère
Si le travail de Sir Nicolas Stern fut une tentative pour inciter les États à l’action, il ne disait pas ce qu’il fallait faire en dehors d’investir une part minime du PIB dans la lutte contre le dérèglement climatique pour sauver la croissance de ce même PIB. C’est en cela que Nicolas Stern reste un économiste orthodoxe malgré les cris outrés de certains de ses collègues.
Mais aujourd’hui, une douzaine d’années après et à la veille de 2020, tout ce bruitage académique d’experts économiques paraît bien désuet. […]
Extraits d’un article de Jean-Marc Sérékian dans la revue Les Zindigné(e)s de février 2019.