Républicanisme de pure forme

Nous, républicains – car, malgré les dérives de droite et néolibérales de l’idée républicaine, nous ne pouvons qu’être républicains -, sommes fatigués. Fatigués du dévoiement de cette idée, « réduite à un universalisme de façade et à une laïcité entièrement falsifiée, [et qui] n’est plus utilisée que pour dissimuler la réalité des fractures et tenter de combler le déficit croissant de légitimité auquel se heurte une république sociale qui laisse proliférer l’inégalité et précarise les existences ».
Partant de ce triste constat, Jean-Fabien Spitz, professeur émérite de philosophie politique à l’université Paris-l, n’hésite pas, à juste titre, à qualifier de véritable « intégrisme politique », devenu même un « mantra du discours politique en France », ce républicanisme de pure forme, contraire même à l’idée républicaine et transformé en alibi chargé de défendre in fine notre ordre social profondément inégalitaire.
Et l’auteur d’affirmer sans détour que cet « intégrisme républicain » n’est aujourd’hui que le « faux nez du libéralisme autoritaire ».

Où commence donc la République ? Et surtout, où l’intervention de la République, en tant que pouvoir, doit-elle s’arrêter, pour rester fidèle à ses valeurs et principes, et ne pas les trahir ? Ce sont les questions que pose Jean-Fabien Spitz, dans un essai qui dénonce les dérives et l’instrumentalisation des valeurs de la République trop souvent mises en avant ces dernières années dans le débat public hexagonal.

Une instrumentalisation qui va de pair avec celle d’une laïcité dévoyée elle aussi, alors qu’elle fut pourtant une autre des valeurs fondamentales de la République française depuis 1905. « Aux antipodes de l’inspiration libérale qui animait la loi de 1905 », l’interprétation « moniste » de la laïcité, trop en vogue de nos jours, est la conséquence d’une véritable « falsification entre les mains des intégristes républicains et des gouvernants qui en reprennent les conceptions ».
S’appuyant ici sur les analyses du politiste Philippe Portier, Jean-Fabien Spitz souligne combien la laïcité s’est « transformée d’un système de préservation des libertés en un système d’unification des conduites », tandis que « les partisans de cette transformation n’hésitent plus à contraindre les appartenances religieuses à devenir invisibles dans l’espace public pour promouvoir ce dernier en un « commun » parfaitement imaginaire dont la fonction est de cacher la réalité des inégalités et des discriminations ». Vient évidemment à l’esprit, sur ce point, la loi de 2004 interdisant auxjeunes filles le port du voile à l’école.
C’est là, pour l’auteur, l’exemple paroxystique de cet intégrisme qui va à l’encontre de l’idée républicaine héritée des Lumières.
Dans un entretien sur France Inter, il résumait ainsi son propos : « Quelles que soient les raisons du port du foulard (en dehors d’une contrainte délictuelle), l’État n’a pas à les examiner. C’est une atteinte à la liberté de conscience et à la liberté des individus que d’interdire aux gens de s’habiller comme ils l’entendent, y compris à l’école. » Or cette « conception travestie » de la République se montre par ailleurs beaucoup moins sévère avec les inégalités et les discriminations qui, pourtant, piétinent bien plus les principes républicains.
Et de pointer un certain « centrisme mou » (suivez son regard vers la Macronie) aux tendances non moins autoritaires, qui promeut fièrement le néolibéralisme, avec une défense de la propriété pour faire accepter (ou absoudre) un système profondément inégalitaire.
C’est sans doute ici l’un des points stimulants de ce livre, puisqu’il critique vertement le néolibéralisme en s’appuyant sur l’un des penseurs les plus prestigieux du libéralisme politique, John Locke (1632-1704).

Grand spécialiste du philosophe, Jean-Fabien Spitz – pour qui l’idée républicaine « est une réflexion sur la manière de réaliser une société d’individus libres et indépendants, et de faire correspondre la réalité des indépendances à celle des droits » – résume justement la pensée du libéral Locke : « Pour lui, si vous vous appropriez des choses dans des conditions telles que cela met d’autres personnes dans l’impossibilité de subsister, cette appropriation n’est pas légitime. » L’égalité, autre fondement de l’idée républicaine, suppose donc, pour être réelle, dans une société où la propriété du capital est très inégalement répartie, « des droits sociaux et une propriété sociale – des services publics – qui permettent aux exclus de la propriété de disposer des moyens de demeurer indépendants.

Extrait d’un article d’Olivier Doubre dans Politis du 01 décembre 2022.
La République ? Quelle valeurs ?
La bataille de la sécu

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