Proximité du néo-libéralisme avec l’extrême-droite

ll faut repenser à une pièce de Bertolt Brecht de 1941 intitulée La Résistible Ascension d’Arturo Ui – résistible, et non irrésistible. Elle parle d’un chef mafieux qui est une allégorie d’Hitler et des nazis. Donc si la poussée est réelle, elle n’a rien d’inéluctable. Et cela parce qu’elle est construite. D’excellents travaux en sciences sociales comme ceux de Benoît Coquard ou de Félicien Faury montrent que les politiques néolibérales – la destruction des services publics, mais aussi, au-delà, la destruction de toute idée de bien commun et de monde commun nourrissent la progression de l’extrême droite. Le tout accompagné de cette idée sordide que la vie est une vallée de larmes où l’effort, la douleur, la concurrence et l’absence de solidarité priment. Du pur darwinisme social. De ce fait, il y a une familiarité consubstantielle entre le monde néolibéral et celui de l’extrême droite.

Par ailleurs, cette progression est construite par un appareil médiatique très puissant dont on a vu, ces dernières semaines, la nocivité jusqu’à la caricature. Avec un empire Bolloré qui s’est mis ouvertement au service de l’extrême droite, à la télé comme à la radio, […]. Cet appareil médiatique diffuse en permanence les idées du néolibéralisme et de |’extrême droite. Avant la victoire de Giorgia Meloni en Italie, il y a eu trente ans de berlusconisme médiatique. […]

Un épisode aurait dû tous nous alerter : l’affaire Benalla. Elle a montré à quel point le président de la République était inconscient et irresponsable. Durant cet épisode. Emmanuel Macron a agi en voyou pour défendre un voyou, au mépris des principes élémentaires de l’État de droit. Depuis cette période, on a vu que des ministres mis en examen ne démissionnaient pas, que des personnes mises en examen, telle Rachida Dati, étaient appelées au gouvernement, et ainsi de suite.
On voit ainsi que le rapport au droit et à l’État, chez les macronistes, est purement instrumental. Il sert à réprimer les opposants et les mouvements sociaux. Cela s’exprime aussi au niveau des institutions : les normes de l’État de droit leur servent à se maintenir au pouvoir, de façon purement cynique. […]

À l’été 2016. deux événements m’avaient alerté. La visite d’Emmanuel Macron à Philippe de Villiers au Puy du Fou, et son déplacement à Orléans pour la fête de Jeanne d’Arc, où il avait disserté sur le roi et la France éternelle. -Je m’étais demandé alors si cet homme était vraiment républicain et démocrate. Il s’est avéré que non. Au-delà de son ethos de droite assumé, il possède un ethos autoritaire qui a été confirmé par ce narcissisme égotiste qu’on a pu voir, par exemple, dans le fait qu’il se met en scène en permanence. Je pense notamment aux photos où il fait de la boxe. C’est du même acabit que le masculinisme des influenceurs d’extrême droite – c’est pathétique. Il y a aussi le culte de la violence, avec la mutation de la doctrine du maintien de l’ordre observée pendant le mouvement des gilets jaunes. Cela rend Emmanuel Macron très dangereux. Car avec la Ve République, il dispose de pouvoirs exorbitants et peut donc en faire des usages non contrôlés. […]

Toute l’histoire du XXe siècle l’a montré : le capital fait toujours le choix de l’extrême droite parce qu’il partage une vision sociale-darwiniste, parce qu’il sait très bien que l’extrême droite a besoin des élites patrimoniales et parce qu’il a conscience que l’extrême droite s’intéresse peu à l’économie. De ce fait, les grandes richesses – celles qui n’ont eu entête que leurs patrimoines, leurs profits et leurs taux de marge – ont toujours pensé qu’elles pourraient leur imposer la politique qu’elles souhaitaient. Aujourd’hui, les mêmes réflexions existent dans le milieu patronal, ce qui explique son silence relatif.

Extraits d’un entretien de Johann Chapoutot dans l’hebdomadaire Politis du 18 juillet 2024.

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