Pourquoi vous devriez vous informer autrement ? La réponse dans cette vidéo.
Passé colonial ?
Le journaliste Jean-Michel Aphatie a déclaré fin février : « Nous avons fait des centaines d’0radour-sur-Glane en Algérie », comparant ce massacre d’un village entier par une division SS, le 10 juin 1944, à ceux d’Algériens commis par la France coloniale, ce qui a suscité un tollé énorme. On peut parler de déni ?
Dans mon livre La Gangrène et l’oubli, sorti en 1991, j’expliquais que le récit national français a longtemps été basé sur une occultation du passé colonial, et tout particulièrement de la guerre d’Algérie. Il a fallu forcer le blocus de l’amnésie générale en travaillant sur cette guerre et la réhabiliter. Ce n’est qu’au début des années 2000 qu’on a commencé à tirer le fil de cette mémoire pour tenter de la retrouver. Mais le problème c’est qu’on ne peut pas comprendre la fin d’un film si on n’en connaît pas le début. Il fallait remonter aux origines de cette colonisation, à savoir : la guerre de conquête au XIXe siècle. Une époque que les historiens documentaient depuis très longtemps longtemps mais qui n’était ni enseignée, ni transmise. En parlant ainsi, Jean- Michel Aphatie n’a fait que lever le voile sur ce que cette conquête a toujours été : exceptionnellement sanglante, faite de massacres, d’enfumades, d’expropriations de terrains, de déplacements de population…
L’année 2030 marquera les deux siècles du début de cette conquête. Selon vous, tenons-nous encore ce passé sous silence ?
C’est relatif, ce silence. Il y a de nombreuses productions littéraires et filmiques à ce sujet. On peut citer les romans de Mathieu Belezi, par exemple Attaquer la terre et le soleil (2022) et Moi, le glorieux (2024), mais aussi le prix Goncourt décerné au roman L’Art français de la guerre d’Alexis Jenni en 2011. Le problème se situe davantage dans l’acceptation de ces images et de ces écrits, par la population française. Il faut que la société consente à cette histoire. La question de la transmission est donc centrale, notamment à travers l’institution scolaire. Toute histoire nationale doit sans cesse être revisitée. Il faut l’enrichir, la perfectionner, sous peine de créer des histoires définitives, officielles. On n’en est pas encore là en France. Même si bien sûr, un certain nombre de faits ont été établis et que la question coloniale, très peu étudiée il y a 30 ou 40 ans, l’est beaucoup plus aujourd’hui. C’est logique : la jeunesse issue des immigrations post-coloniales est très consciente de cette histoire et a un fort désir de connaissance à son sujet. Avant, peu de gens travaillaient là-dessus : le sujet était vu comme périphérique, contrairement à des sujets comme le socialisme, la lutte des classes, le mouvement ouvrier, etc.
Extrait d’un entretien de Benjamin Stora dans le mensuel CQFD de mai 2025.