Macron et migration vus par Cédric Herrou

La campagne des législatives a été plombée par les thèmes imposés par l’extrême droite. Alors que le premier tour aura lieu à la fin de la semaine, quels seraient les bons termes du débat, selon vous ?

Je fais partie des gens qui sont dégoûtés de la politique. Est-ce qu’on a envie du pouvoir quand on est de gauche ? Est-ce que le système actuel donne de la place aux gens dénués d’égoïsme, d’une quête de profit personnel ? Est-ce que le pouvoir ne pervertit pas toujours ? Ce sont des questions que je me pose. Les élections ne répondent pas aux attentes des gens, et encore moins des précaires. La société se dépolitise. J’ai 45 ans, et depuis que j’ai commencé à lutter contre l’extrême droite, on me dit qu’elle va accéder au pouvoir tôt ou tard. Et quand elle arrive, les gens sont scotchés sur TikTok. À chaque scrutin, on ne réfléchit plus, on bricole des schémas. Le socle commun disparaît. Il s’effrite. Et le résultat qu’on a, ce sont deux mondes parallèles. C’est à se demander si on ne cherche pas la crise, collectivement. On affronte des problèmes climatiques immenses et pourtant on se préoccupe de choses futiles. On débat sur des choses qui ne sont pas à débattre.

Pensez-vous que la gauche est assez solide sur la compréhension des enjeux migratoires?

La gauche tente à nouveau de comprendre. En 2016, quand j’ai commencé à mener des actions, personne ou presque n’est venu me voir. Ce n’était vraiment pas un sujet qui intéressait. À droite, les élus envisagent ce sujet que dans une visée électoraliste. La question de la migration est difficile à aborder parce qu’elle est complexe. Sauf à la considérer comme la droite le fait, c’est-à-dire de manière simpliste en disant « non aux étrangers ». Défendre l’accueil, c’est bien plus exigeant intellectuellement que de dire stop à l’immigration. C’est pour cette raison que j’ai refusé plusieurs fois l’invitation de Cyril Hanouna à venir sur son plateau. Il me mettait face à Damien Rieu. C’est impossible de débattre avec quelqu’un d’aussi raciste. J’aurais eu besoin de trois minutes quand lui aurait lâché ses « arguments » en trente secondes. C’est pour ça que la gauche a abandonné la question de la migration. Elle pense que les gens ne sont pas aptes à comprendre. C’est dire la déconnexion de nos représentants politiques avec le mal-être de la population. Pour moi, traiter les électeurs du RN de fachos, c’est une connerie. Je ne parle pas des militants, bien sûr. Les autres sont des gens paumés qui ont peur que la télé devienne réelle. J’ai vu beaucoup de personnes solidaires avec des exilés mais qui votent extrême droite,juste parce que c’est facile à comprendre. Demandez le programme du RN dans la rue, les gens l’ont tous en tête : baisse des impôts, arrêt de l’immigration, lutte contre la violence. Le problème. c’est que les idées infusent. Et les gens disent ouvertement qu’ils votent pour un parti raciste. Ils ne se cachent plus.

Emmunuel Macron a qualifié d’ « immigrationniste » le programme du Nouveau Front populaire. Est-ce le signe ultime de la radicalisation du président sur l’enjeu des frontières ?

Les personnalités politiques manipulent : elles apprennent à sourire, à dire telle ou telle connerie au bon moment. Quand il dissout l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron pensait que la gauche ne pouvait pas se fédérer. Il s’est dit que le PS n’allait jamais se mettre avec La France insoumise. Ce calcul l’a conduit à prendre une tôle. Il voulait défoncer les LR, il l’a fait, mais la gauche a réussi à s’unir. Je me rappelle qu’Emmanuel Macron est passé dans la vallée de la Roya avant la tempête Alex, en 2020. On avait discuté. Il disait que c’était bien, ce que je faisais. Et après, il m’a dit qu’il fallait comprendre la peur du terrorisme que ressentaient les gens. Il a fait de lui-même le lien entre immigration et terrorisme. C’est un gars dangereux, Macron, parce qu’il nous emmène vers une forme de fascisme. Et il tire toute la politique dans cette direction : le licenciement de Guillaume Meurice à France Inter en est en quelque sorte un exemple. Il y a dix ans, ce ne serait jamais arrivé. Preuve supplémentaire que l’on glisse petit à petit vers l’extrême droite.

Début d’un entretien Cédric Herrou dans l’hebdomadaire Politis du 27 juin 2024.

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