Pourquoi vous devriez vous informer autrement ? La réponse dans cette vidéo.
Low-tech et libéralisme autoritaire
Pour l’heure, le mouvement low-tech français ne paraît pas susciter d’hostilité de la part des acteurs économiques et politiques. Mais, si l’extrême droite devait gouverner un jour – comme c’est actuellement le cas en Italie en en Hongrie – il serait rapidement saisi par deux mâchoires puissantes. Par le haut, le gouvernement pourrait aisément assécher ses finances en réorientant les subventions jusqu’ici accordées. Par le bas, la philosophie low-tech pourrait être récupérée par le mouvement « folkiste » dont l’idéologie pernicieuse gagne doucement du terrain, sous les radars médiatiques. Voici les dangers que révèlent les expériences Italiennes et hongroises. Les coups bas du libéralisme autoritaire Orban, Trump, Meloni ou l’argentin Milei – ainsi que le macronisme version 2024 – ont en commun une pratique « libérale autoritaire » du pouvoir. Une doctrine forgée dans les années 1930 par l’Allemand Carl Schmitt, juriste et penseur de la révolution conservatrice qui mènera au nazisme.
Cette doctrine tient dans la formule suivante : restreindre les libertés politiques pour imposer plus de libéralisme économique. Concrètement, par la force et la propagande, l’État, avec le soutien d’entreprises industrielles influentes, va étouffer les luttes de classes, pour imposer un ordre consumériste qui borne la vie entre deux pôles : travail et loisirs. Les premiers laboratoires de ce modèle furent, dans les années 1970, la dictature du chilien Pinochet et les années d’état d’urgence instaurées en Inde par Indira Gandhi. Les deux vont opérer une restriction draconienne des libertés publiques, tout en imposant un programme économique ultra-libéral, fortement inspiré par les théories économiques de Friedrich Hayek et Milton Friedman.
Aujourd’hui, cette doctrine libérale-autoritaire est poussée à son paroxysme en Chine, à Singapour, à Dubaï, mais aussi dans l’Inde de Narendra Mody. Mais elle progresse aussi dans de nombreux pays d’Europe, dans un contexte d’inéluctable contraction économique lié à la raréfaction des matières premières.
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C’est ainsi que l’extrême-droite pourrait détourner une partie de l’imaginaire écolo et low-tech à son profit, comme elle l’a déjà fait avec la doctrine catholique de « l’écologie intégrale ».
Comment ? En apportant des réponses simples à des questions complexes, comme toujours.
Il leur suffit de surfer sur la nostalgie populaire du « passé paysan » et de « l’artisanat local » tout en images d’Épinal. Et, pour cela, ils s’inspirent du greenwashing de Meloni et de Viktor Orban. L’une promet de protéger le paysage contre les déchets parce que « qui aime sa patrie, protège l’environnement ». L’autre construit un véritable roman écologique national. Une vision de carte postale. Avec des villages de maisons en torchis, aux rues peuplées de charrues… Des traditions muséifiées. Pendant qu’à quelques kilomètres, il subventionne l’isolation au polystyrène de milliers de pavillons, conduisant à l’abandon de la technique du torchis.La menace du libéralisme autoritaire est donc grande. Le mouvement low-tech français pourrait se retrouver piégé entre des politiques de réorientation techno-solutionniste et une récupération idéologique « localiste ».
Face à ces dangers, il ne suffit plus de « climatiser les luttes sociales », mais de démontrer que, grâce à la low-tech, ont peut adoucir ses fins de mois tout en ralentissant la fin du monde. Il est aussi urgent d’éviter
toute forme de gadgétisation des low-tech en insistant sur « l’empouvoirement populaire » (autonomisation) qu’elles apportent. Car, au final, qu’est-ce qui fait l’identité de la low-tech ? Qu’est-ce qui fait une low-tech authentique ? Sinon sa capacité d’empouvoirement. Je crois qu’une démarche low-tech ne peut être authentique si elle ne porte pas une pratique d’éducation populaire. On ne se contente pas d’acheter une low-tech. Son concepteur/constructeur doit accepter de transmettre à l’utilisateur les secrets de sa fabrication, de son fonctionnement, de son entretien et de sa réparation. Mais l’empouvoirement, c’est aussi la création de lien social, à travers une volonté de « faire ensemble ». Une low- tech ne se construit pas seul dans son garage. Ce n’est pas le D.I.Y jaloux des survivalistes. C’est un projet collectif et partagé. Enfin, la low-tech est une attitude. Une attitude de coopération et de coopétition. Entre nous, pas de mise en concurrence, de jalousie, voire de mépris… Toutes ces passions tristes qui nourrissent le mal-être et le libéralisme autoritaire.
Extraits d’un article de Jacques Tiberi dans le Low tech journal de septembre 2024.