Les revenus très inégalitaires des agriculteurs

« La vraie particularité des paysans est l ‘extrême inégalité de la répartition des rémunérations » et ils « apparaissent même comme la plus inégale des professions », y compris parmi les indépendants comme les commerçants, restaurateurs ou boulangers, déclarait en février dernier l’économiste Thomas Piketty. Si le niveau de vie des agriculteurs peut être appréhendé par différentes enquêtes au niveau des ménages, l’indicateur utilisé pour l’analyse de la performance économique d’une ferme est celui du résultat courant avant impôt (RCAI) par agriculteur non salarié à temps plein.

D’après les statistiques du ministère de l’Agriculture, en 2022, il était d’environ 55 000 € en moyenne. Soit environ 10 % de moins que la rémunération moyenne des salariés en France, si l’on y ajoute les cotisations patronales et sociales. Mais sur une période plus longue (2010-2022), il tourne plutôt autour de 34 000 €. De plus, il cache de fortes disparités : sur cette période, les 10 % du haut de la pyramide dépassent 80 000 € par an alors que les 10 % du bas ont perdu en moyenne 4 600 € par an… 20 % ont un RCAI inférieur à 6 100 € par an. Par ailleurs, ces données proviennent d’un échantillon excluant près 100 000 « micro-fermes », avec nombre de petits élevages ovins et caprins ou de maraîchers, qui peinent à tirer un Smic de leur activité agricole.

La taille des fermes, avec d’autres facteurs comme les modèles technico-économiques, les circuits de distribution ou le contexte pédoclimatique, est déterminante dans l’explication de ces écarts. Sur le long terme, au sein d’une même production, l’écart entre les 25 % des revenus les plus haut et les 25 % les plus bas est d’un à cinq dans de nombreuses filières. Le type de production joue également. En moyenne, de 2010 à 2022, le RCAI par agriculteur à temps plein était de 20 000 € à 30 000 € pour la plupart des éleveurs d’herbivores mais de 47 000 € pour l’élevage porcins, 56 000 € en grandes cultures ou 52 000 € en viticulture. Ces inégalités sont en partie liées au mode d’allocation des aides européennes, en faveur de certaines productions et des grandes fermes, alors que la subvention moyenne par exploitant était de 39 600 € en 2022.

Cette analyse occulte toutefois un fait majeur : une grande partie des revenus du monde paysan sont différés, via la capitalisation puis la revente ou la location de leurs biens professionnels. « les aides de la PAC sont un des moteurs de la capitalisation. Quand on vend une ferme de 100 hectares, au prix du foncier, c’est parfois près d’un million d’euros », rappelle Vincent Chatellier, économiste à l’Inrae.

Lucien Bourgeois, membre de l’Académie d’agriculture, rappelle que le patrimoine net des ménages dont la personne de référence est un agriculteur était en moyenne en 2018 de 774 900 € contre 239 900 € pour l’ensemble des Français… Là encore, l’écart entre agriculteurs est énorme et largement lié à la taille de la ferme. Les paysans qui ne sont pas propriétaires de leurs terres, les éleveurs ayant peu mécanisé leur production, comme un nombre important de maraîchers sur de petites surfaces, ne pourront pas compter sur ces revenus pour leur retraite, qui est en moyenne 30 % plus faible que celle des salariés.

Début d’un article de Fabrice Bugnot dans Transrural initiative de mai 2024.

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