Les machines et leurs serviteurs

Nous devons construire une « croissance écologique, qui s’appuie notamment sur la recherche, et non pas une écologie malthusienne […] en baissant la garde et en nous accommodant de la décroissance, voire en la prônant. » Michel Barnier alors qu’il candidatait au poste de candidat Les Républicains pour l’élection présidentielle, en 2021. A la bourse de New York, les algorithmes ont remplacé depuis longtemps les cambistes. L’humain y est obsolète face à la vitesse de l’ordinateur qui mène des milliards d’opérations sans erreur en un clignement d’œil.
Mais il n’y a pas d’économie de marché sans société de marché. Dans un monde capitaliste, c’est toute la société qui est conduite par la logique de la machine. L’homme y est superflu et la politique illusion. Mais il faut donner le change. On ne peut pas, encore, présenter un personnage de synthèse pour expliquer « le seul choix possible » à la population. Néanmoins, avec notre nouveau Premier ministre, nous y sommes presque. A l’instar de Bruno Le Maire, il ressemble à un de ces personnages de séries US. Il pourrait y jouer le rôle d’un chirurgien ou d’un président des États-Unis. Dans la société du spectacle, le médium, c’est le message. Le personnage recrache donc toute la logique de la technocratie.
« La Civilisation des Machines est la civilisation des techniciens, et dans l’ordre de la Technique un imbécile peut parvenir aux plus hauts grades sans cesser d’être imbécile, à cela près qu’il est plus ou moins décoré », alertait Georges Bernanos (La France contre les robots, 1946). Michel Barnier a le côté insaisissable, inexistant, sans aspérité, du robot. On n’aime, ni ne déteste, une machine. Son discours semble recraché d’un logiciel d’intelligence artificielle. Nous reviendrons cet automne sur l’histoire de ce personnage ex-ministre de l’Écologie. Représentant de la technocratie, il incarne les avertissements de Bernanos (La liberté, pour quoi faire ?, 1953) : « II s’agit de savoir si la technique disposera corps et âmes des hommes à venir, si elle décidera, par exemple, non seulement de leur vie et de leur mort, mais des circonstances de leur vie, comme le technicien de l’élevage des lapins dispose des lapins de son clapier. »
Lors de la crise du Covid, l’euro-technocrate voulait rendre la vaccination « obligatoire pour tout le monde » (LCI, 11 juillet 2021). Finalement, tous les lapins n’ont pas été acculés à recevoir une thérapie génique expérimentale ; les réfractaires ont empêché que la pince ne se referme définitivement. Mais demain ? Si le Grand Ordinateur l’exige, tous les Barnier de la Terre imposeront une pseudo-décroissance récupérée et retournée façon administration du désastre (degrowth studies). Si les algorithmes leur dictent, ils aboliront les libertés au nom de la défense de la démocratie et de la santé de la planète. Car c’est ainsi que s’expriment les machines. Pour elles, le mensonge et l’honneur sont des notions inconnues. Face à elles, il ne sert à rien de chercher à être plus performant. Il faut refuser de jouer sur leur terrain. Il faut au contraire investir le nôtre, c’est-à-dire tout ce qui nous fait humain : le désir de liberté, de joie, de vérité, de liens, la recherche du bien, ou l’acceptation de la part tragique et limitée de nos existences. Il faut faire un pas de côté.

Article de Vincent Cheynet dans le journal La Décroissance d’octobre 2024.

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