Les coûts de notre système agro-alimentaire

Pour porter un autre discours et rouvrir les imaginaires, des convergences font plaisir à voir.
C’est le cas de celle qui regroupe le Secours catholique, le réseau des Civam, l’association Solidarité paysans et la Fédération française des diabétiques. « En alliant nos regards et nos voix, nos associations veulent envoyer un message : nous ne nous résignerons pas. » En d’autres termes : il faut réfléchir en commun à un système agroalimentaire qui réponde à tous les enjeux, à savoir procurer une alimentation qui soit à la fois saine, durable, accessible et rémunératrice.
C’est ce que font les quatre organisations dans une rapport publié en septembre et intitulé « L’injuste prix de notre alimentation ».
Drôle de titre ? Le but est de s’attaquer à l’argument massue – le seul ? – des défenseurs du modèle productiviste actuel, à savoir celui de la baisse du prix du caddy. Sur le temps long, c’est vrai : la part de notre budget dédié à l’alimentation a baissé… mais à quel prix ? Voilà la question centrale que posent les quatre organisations. « Le prix de l’alimentation n’est pas toujours celui que l’on croit, car il n’est pas seulement celui que l’on paie en caisse », rappellent-elles.

Elles ont missionné un bureau d’études pour calculer combien coûte ce système alimentaire à la collectivité.
« Chaque passage en caisse ne dit rien, par exemple, de l’argent public engagé pour la dépollution, la couverture des maladies professionnelles, des maladies des consommateurs du fait d’une alimentation trop grasse et trop sucrée… »
12 milliards d’euros pour la prise en charge des maladies liées à une mauvaise alimentation (obésité et diabète en particulier). 600 millions d’euros pour la prise en charge des maladies professionnelles liées à l’usage des pesticides. 3 milliards pour « compenser » ou « réparer » les impacts environnementaux de l’agriculture (dépollution de l’eau, etc.). 3 autres milliards pour compenser la faiblesse des rémunérations dans le secteur agricole et agro-alimentaire. Ces quelque 19 milliards ne prennent pas en compte les coûts non calculables, comme celui de la dégradation des sols, ou celui des maladies liées à l’ingestion de pesticides par l’eau et l’alimentation, précisent les organisations.
La collectivité sort donc le portefeuille pour réparer les dégâts les plus visibles d’un système… qu’elle finance par ailleurs !
Le bureau d’étude a compilé les subventions, les achats directs (restauration collective publique) et les exonérations fiscales : 48 milliards d’euros sont injectés par la collectivité chaque année dans le système agro-alimentaire. Or, « plus de 80 % des soutiens publics entretiennent une logique de course aux volumes, qui va de pair avec la standardisation des matières premières et une pression sur les prix payés aux agriculteurs », dénoncent les organisations.

Beaucoup d’argent, donc… qui pourrait être utilisé différemment. Le collectif ne chiffre pas le coût de ses 22 propositions, mais on imagine qu’avec une cinquantaine de milliards, il y aurait de quoi orienter différemment le paquebot agroalimentaire (quand les dépenses alimentaires des ménages représentent environ 300 milliards par an). Il y aurait de quoi mettre en œuvre un droit à l’alimentation effectif piloté par un délégué interministériel qui limiterait la segmentation des politiques publiques. Multiplier les projets alimentaires de territoire, ouvrir les instances agricoles aux citoyens, renforcer l’éducation à l’alimentation, encourager et expérimenter des caisses alimentaires communes où s’exprime la solidarité entre citoyens, flécher clairement les subventions en direction de l’agro-écologie, garantir des prix décents aux agriculteurs, encadrer les taux de marge pratiqués par la grande
distribution, s’attaquer à la publicité pour la malbouffe… 22 propositions qui vont dans le sens d’un mieux être pour les agriculteurs, les plus précaires, les environnementalistes, et les oiseaux. Ça ferait du monde en manif.

Extrait d’un article de Fabien Ginisty dans le mensuel l’âge de faire d’octobre 2024.

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