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Le numérique et l’école
La similarité des arguments à travers les âges est frappante : éveil de l’intérêt des enfants, augmentation de la motivation, interactivité et possibilité d’adapter le rythme de l’enseignement à chaque élève, participation et implication accrues, ouverture de l’école sur le monde, possibilité de suivre les cours des meilleurs profs – hier avec la radio et la télévision, aujourd’hui avec les cours massifs en ligne. Mais les prophéties enthousiastes ont toujours été démenties, les résultats n’ont jamais été à la hauteur des promesses.
Les fabricants d’équipement sont les plus ardents promoteurs, Edison et ses projecteurs de cinéma hier, Microsoft et ses logiciels aujourd’hui. Mais leur lobbying serait insuffisant sans l’appui de promoteurs inlassables du numérique à l’école : élite politique, qui plonge, à quelques exceptions prés, dans l’évidente nécessité de construire une école « moderne » ; théoriciens universitaires, qui préconisent et expliquent aux enseignants du primaire et du secondaire comment faire cours, les incitant à accompagner les évolutions de la société et à « arrêter de résister » ; hiérarchie de l’Éducation nationale, qui assure la mise en œuvre à marche forcée ; certains profs enthousiastes, aussi, qui y croient sincèrement.
Le numérique aurait toutes les qualités – grâce à lui, les élèves vont devenir concentrés, bosseurs, confiants en eux, persévérants, meilleurs. Dans les rapports qui se succèdent, on ne recule pas devant les approximations ou les syllogismes du type « le Danemark réussit à l’école, le Danemark intègre le numérique, alors c’est que le numérique permet de réussir ». Et tant pis s’il y a d’autres facteurs explicatifs dans le système éducatif danois…
En réalité, il n’y a simplement pas de corrélation entre numérisation et performance des élèves : en moyenne, « les pays qui ont consenti d’importants investissements dans les TICE n’ont enregistré aucune amélioration notable des résultats », révèle une enquête de l’OCDE – pourtant furieusement pro-numérique. Au contraire, ceux qui utilisent davantage les TICE ont des résultats plus faibles.
On peut ainsi démonter chaque argument en faveur du numérique. Il motiverait les élèves incapables de se concentrer ? Mais parce qu’on confond motivation pour l’apprentissage et motivation pour l’outil ! Et le manque d’attention des élèves ne vient-il pas, en partie, des usages numériques, de notre « société multitâches » ? Il permettrait une pédagogie active, plus ludique ? Mais l’apprentissage actif lié à la production de contenu et le jeu ne sont pas l’apanage du numérique – la pédagogie Freinet date des années 1920 ! Le numérique offrirait des ressources pédagogiques illimitées : mais a-t-on jamais pointé la « pauvreté » des manuels comme une cause de la crise de l’école ? ‘
Extrait d’un entretien de Philippe Bihouix par le journal La Décroissance (édition de septembre 2016).
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