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L’avenir, c’est l’esprit public
Pour l’emporter face à la vague brune, il nous faut construire un récit, une vision du monde qui rassemble les gauches et les écologistes, qui fédère les classes populaires des villes et des campagnes. L’Esprit public est une pierre à cet édifice. Je suis partie de l’état de notre société, pétrie de peurs, de ressentiments et d’incapacité à se projeter dans un avenir de progrès. Ce que je perçois, c’est une asphyxie générale, le sentiment que plus rien ne marche et que chacun, chacun et chacune est renvoyé.e à la « débrouille » et au repli sur soi. Plus de quarante ans de politiques néolibérales ont laminé les protections sociales et les services publics. Et l’État s’est méthodiquement dépossédé de sa capacité à agir pour transformer nos vies, se recroquevillant sur le contrôle et la surveillance. La guerre des identités a progressivement pris le pas sur la bataille de l’égalité.
À mon sens, c’est la marchandisation du monde qui brise notre capacité à faire société et à devenir des individus libres. Car, contrairement à la fable que l’on nous raconte depuis trop longtemps, la loi du marché ne permet pas de satisfaire les besoins de la population. Elle atomise le collectif et amplifie les inégalités, sociales et territoriales. Elle détruit notre écosystème et tue l’espoir d’une vie meilleure. Aujourd’hui, nous sommes à la croisée des chemins : soit nous sombrons dans l’ultra-libéralisme et la folie identitaire, soit nous ravivons l’esprit public.
Le concept d’esprit public que je défends dans ce livre repose sur trois piliers : l’économie du partage, l’État stratège et la démocratie. L’esprit public, c’est d’abord une économie de la mise en commun, qui respecte la planète. Autrement dit, une économie qui combat pied à pied la marchandisation du monde. L’adjectif latin publicus signifiait, dans la Rome antique, ce qui concernait l’ensemble des citoyens. Pour prendre une simple illustration, les gouvernements successifs ont pensé que le marché pouvait répondre aux besoins du quatrième âge. Mais tout le monde voit bien aujourd’hui que la loi du marché conduit au scandale des EHPAD. Et pour cause : les entreprises privées dans notre régime capitaliste cherchent à dégager des marges financières. Les groupes comme Orpéa se sont gavés d’argent public et ont utilisé la détresse des familles pour engranger leurs profits. On comprend que, dans certains milieux financiers, « l’industrie du quatrième âge » ait été surnommée « le jackpot ». Ce qu’il nous faut bâtir urgemment, c’est un grand service public du grand âge. Car c’est le cadre qui peut garantir l’universalité et la qualité du service rendu.
Autre exemple, fondamental : les catastrophes climatiques. Seule la puissance publique peut nous en protéger. Car elle seule peut avoir une action cohérente et efficace contre les dérèglements du climat, et elle seule peut garantir la protection de toutes et tous en cas de dégâts humains et matériels. Quand on pense qu’à Los Angeles, en plein cœur des incendies, des pompiers privés sont venus sauver les maisons des riches… Veut-on de cette société à deux vitesses, dans laquelle une poignée sauvera sa peau en cas de tempête, quand la majorité n’aura pas les moyens de sa survie ?
L’esprit public, c’est la dynamique de légalité, entre les citoyen.nes et entre les territoires. C’est ce qui peut faire reculer le pouvoir des marchés et de l’oligarchie. L’esprit public, c’est ensuite un État qui anticipe et organise la satisfaction des besoins, en s’en donnant les moyens, notamment par la réhabilitation de l’impôt. Aujourd’hui, 300 plans de licenciements sont en cours et nous ne cessons de pleurer la désindustrialisation de notre pays. Or, l’État reste les bras ballants devant cette situation, alors qu’il devrait mobiliser les outils que sont les aides publiques, la fiscalité ou les normes légales pour intervenir.
Autre exemple: l’État a inventé Parcoursup pour sélectionner plus encore les étudiantes au lieu de créer suffisamment de places dans l’enseignement public supérieur pour accueillir le baby-boom des années 2000. C’est un choix politique… et un pur scandale. Qui s’en frotte les mains ? Le privé, qui en profite, au mépris de l’intérêt général et de la justice sociale ! C’est pourquoi un État stratège, avec une haute fonction publique formée à l’esprit public, loin de la petite caste actuelle si prompte à servir les intérêts privés et à se servir, est indispensable pour relever les défis de notre temps.
Enfin, l’esprit public, c’est la démocratie qui progresse, là où elle ne cesse aujourd’hui de reculer. Car c’est aux citoyennes et citoyens de définir, et de façon permanente, quels sont leurs besoins pour que l’appareil productif s’y adapte. Or, aujourd’hui, ce sont nos besoins qui s’adaptent à celui du capital de s’accroître. Car, contrairement à sa promesse, notre système économique ne sait pas satisfaire les besoins essentiels de la population, mais il crée toute une série de besoins artificiels qui détruisent l’écosystème et nos désirs.
Extrait d’un entretien de Clémentine AUTAIN (L’avenir, c’est l’esprit public) dans « Démocratie et socialisme » de février 2025, le mensuel de la L’APRES.