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L’agroécologie dévoyée par le capitalisme
Sur le plateau de Saclay, c’est peu dire que l’agroécologie est mise en avant ! Son cœur battant ? L’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) et l’école AgroParisTech qui forment le Campus Agro Paris-Saclay. Un pôle qui regroupe huit bâtiments d’une superficie de 66 000 m2 dédiés au « futur de l’agriculture française ». […]
L’agroécologie est un terme qui recouvre aussi bien une discipline scientifique dans laquelle on applique les principes de l’écologie à l’agriculture, qu’un ensemble de pratiques pour une agriculture respectueuse de l’environnement, ou un mouvement politique et social qui soutient l’autonomie paysanne et les milieux ruraux en mettant en question l’agriculture productiviste. Mais ce qui se met en place est une agroécologie d’une tout autre nature.
En 2021, le gouvernement lance deux Programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR), financés par le quatrième Programme d’investissements d’avenir (PIA4) et France 2030. […] Le premier cherche à introduire massivement la technologie dans des pratiques agricoles qui veulent justement s’en tenir à bonne distance. Le second, « Sélection avancée » veut mettre sur pied de nouveaux organismes génétiquement modifiés (OGM), domaine de recherche qui a cristallisé l’opposition du milieu de l’agroécologie depuis trois décennies.
À cela, viennent s’ajouter les Grands Défis – tel celui sur la robotique agricole – et des Challenges technologiques sur les « agroéquipements automatisés ou intelligents », le tout promettant de renforcer la résilience et d’accélérer « l’adaptation de l’agriculture au changement climatique ».Ce modèle, porté par le campus Agro, repose sur le fameux triptyque « Génétique, Robotique, Numérique » : piliers de la troisième « révolution agricole » qu’appelle de ses vœux le gouvernement. Car, si le programme « Agroécologie et numérique » statue que « les innovations technologiques ne sont pas suffisantes pour accompagner les agriculteurs dans une transition réussie », il les considère toutefois comme indispensables et cherche à « favoriser leur adoption ». […]
C’est bien la première fois à cette échelle que l’agroécologie est prise comme alibi pour développer le numérique et la robotique. Ces deux PEPR devraient intensifier l’industrialisation du modèle agricole […] alors que l’agroécologie veut défendre une approche agricole paysanne aux antipodes de ces pratiques. Un signe révélateur est la disparition dans les PEPR de toute référence à l’Agriculture biologique (AB) alors qu’elle était il y a peu considérée comme l’un des prototypes de l’agroécologie. […]
Quelles sont les principales conséquences de ce qui s’avère être un renversement de l’agroécologie ? Une participation à la diminution du nombre d’agriculteurs ; une perte d’autonomie et de maîtrise de ces équipements dont la fabrication, l’utilisation et l’entretien dépendra des entreprises du secteur au dépend des praticiennes et praticiens des champs ; le remplacement de l’observation directe et du lien sensible au vivant recouvert par une instrumentation et un voile épais de données informatiques. Alors l’année 2021 a marqué une rupture. L’INRAE n’affiche plus seulement l’agroécologie comme un étendard souhaitable pour ses activités, il participe à de grands programmes hyper-technologiques qui en trahissent l’esprit et la lettre. Un tournant qui marginalise encore un peu plus les approches de recherche participative associant acteurs et actrices du terrain pour expérimenter, des fermes aux assiettes, une transformation des systèmes agri-alimentaires. […]
Extraits d’un article d’une directrice de recherche à l’INRAE dans Le chiffon de l’été 2024.