La politique, le réel et la science

Pendant des siècles, on a pu définir la politique comme l’instance qui définissait le réel, contre la fatalité des dieux ou de la nature. Or, aujourd’hui, c’est le réel qui doit redéfinir la politique ! Car si il y a bien une chose de certaine, c’est que le système Terre est insensible à la communication politique, qui ne parle que de croissance ! Certes, il existe des partis populistes qui ont un rapport tordu au réel. Pour eux, la cause me semble perdue. Mais au sein des grandes traditions politiques qui perdurent malgré tout, il devrait être possible de s’accorder sur une nécessaire restriction de certaines libertés privées (celles de produire et consommer toujours plus pour ceux qui en ont les moyens) de façon à préserver aujourd’hui le bien commun, gage du maintien des libertés publiques dans quelques années… Or c’est manifestement impossible. La seule façon de le comprendre pour moi, sans prétendre saisir toute la complexité de la situation, est qu’on n’a pas véritablement pris acte des savoirs fondamentaux. Peu de monde maîtrise vraiment les rudiments du « système Terre » – l’emballement en cours du climat, l’ampleur de la destruction de la biodiversité, l’accélération économique.
Sous la surface médiatique, ces savoirs sont soigneusement mis de côté. Pour donner un exemple, pour le bac, il y a deux ans, certains lycéens, de parcours de spécialité Sciences Économiques et Sociales, devaient plancher sur le sujet suivant : « A l’aide d’un exemple, vous montrerez la façon dont l’innovation permet de repousser les limites écologiques de la croissance »… En complète conformité, bien évidemment, avec le programme de l’éducation nationale, nous voilà en plein obscurantisme ! Voyez Luc Ferry, cet intellectuel si influent, d’une grande culture philosophique, ignorant totalement les savoirs scientifiques ! Ne comprenant pas que la radicalité de la décroissance qu’il critique procède simplement d’une analyse du réel ! Voyez notre président de la république faisant des « vidéos » à destination des jeunes sur les questions écologiques sans, à aucun moment, évoquer les savoirs scientifiques. Les savoirs s’accumulent donc – dans les bibliothèques, les rapports du GIEC, etc. – mais […] si nous sommes intellectuellement honnêtes, il devient évident qu’il faut organiser le « moins », la décroissance. Il faut démanteler et fermer des sites de production de nuisances. Si nous aimons nos enfants, si nous souhaitons que la vie continue, il faut accepter que nous vivions sobrement collectivement. Non par des décisions individuelles, chacun dans son coin. Mais par la loi, de nouvelles institutions – y compris des quotas de production et de consommation – qui organiseront la vie collective avec moins. Il n’y a pas d’autres possibilités. C’est pourquoi je pense malgré tout que, dans quelques temps, la décroissance deviendra une évidence et sera « simplement » à organiser.

Extrait d’un article dans le journal La Décroissance de mai 2024.

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