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La croissance, source de pauvreté
D’un bout à l’autre de l’échiquier politique, le présupposé semble donc toujours le même : plus la croissance est forte, mieux on se porte ! […] alors même que le lien entre croissance économique et destruction de l’environnement paraît de plus en plus difficile à nier – d’où le coup de génie du concept trompeur de « croissance verte » -, les libéraux défendent encore leur modèle de développement en arguant que c’est grâce à la création de « richesses » que la pauvreté dans le monde pourra reculer. De quoi faire passer les écolos pour des égoïstes se souciant de l’environnement et des petits oiseaux au détriment des urgences humaines.
Or, explique Olivier De Schutter dans son ouvrage Changer de boussole – la croissante ne vaincra pas la pauvreté , c’est tout l’inverse : la croissance, surtout lorsqu’elle se produit dans les pays riches, ne fait désormais qu’aggraver les phénomènes de pauvreté. […]
« La croissance économique peut être présentée comme une solution plausible dans les pays relativement pauvres, en ce quelle offrirait des opportunités de revenu a une main-d’œuvre en forte augmentation, en même temps quelle permettrait aux ménages d’atteindre des niveaux de vie qui les approcheraient de l’aisance des populations du Nord » Mais, s’empresse d’ajouter Olivier De Schutter, « aucun de ces arguments n’est transposable aux pays à hauts revenus. Au contraire, dans ces pays, la croissance a surtout permis à des populations déjà riches de s’enrichir davantage ».Par ailleurs, même dans les pays pauvres, la recherche de la croissance économique n’est pas nécessairement le bon objectif, « l’urgenee [étant] de créer des débouchés pour les producteurs des pays du Sud, en accélérant l’élévation du niveau de vie des populations locales ; et non pas de pousser ces producteurs à se soumettre aux attentes des marchés au pouvoir d’achat élevé du Nord ».
Olivier De Schutter – et c’est l’un des grands intérêts de cet ouvrage – ne s’arrête pas à cette définition de la pauvreté. Sa fonction au sein de l’ONU lui a en effet permis de découvrir l’importance des dimensions cachées – de ce phénomène : « Les personnes en pauvreté rapportent une expérience quotidienne de discrimination, de maltraitance sociale au institutionnelle, ou de non-reconnaissance de leur contribution à la société, qui constituent autant de sources d’exclusion ». Cette approche « multidimensionnelle » ébranle encore un peu plus le mythe de la croissance économique comme solution aux problèmes de pauvreté.
Car cette exclusion sociale repose avant tout sur l’accroissement des inégalités. En effet, « ce qui contribue a notre sentiment de bien-être, ce n’est pas seulement le confort matériel dont nous jouissons, mais aussi comment notre situation se compare à celle des membres de la communauté qui nous sont proches ».
Si bien que « le paradoxe est que plus les sociétés s’enrichissent, plus certaines dimensions de cette exclusion sociale viennent s’agraver. […]
La croissance économique va permettre à une partie importante de la population d’un pays d’accéder à de nouveaux biens matériels. Ces équipements devenant la norme, ils en viennent à apparaître indispensables à une vie décente, excluant socialement celles et ceux qui en sont privés.
Extraits d’un article de Nicolas Bérard dans l’âge de faire de septembre 2023.