La comédie dramatique de la dette

« La dette française menace la survie de notre pays. La situation est dramatique. » Je secouais la tête, soupirant, en entendant le Premier ministre François Bayrou, la voix grave, nous annoncer les plaies d’Égypte et la disparition prochaine du pays.
Je soufflais, désabusé. Parce que ça fait quoi ? Vingt ans, trente ans qu’on entend ça ? qu’ils nous servent le même refrain pour les mêmes desseins ?
Comment ça peut encore passer ? Comment peuvent-ils encore faire croire à leurs balivernes ?
Deux jours plus tard, c’est Eric Lombard, ministre de l’Économie, qui assurait le service après-vente. Cette fois, la situation était « critique », le « niveau d’endettement insoutenable : 3300 milliards ! ». Et « 67 milliards chaque année, rien que pour les intérêts » !
Trente ans qu’il dure, ce cirque, et qu’il passe toujours aussi bien sur les plateaux télé, et les éditorialistes de pérorer, de digresser sur le bon moment de Bayrou, en gardant bien en tête, bien sûr, le principal : « On n’a pas le choix, vous voyez bien les chiffres. »
Ce qui me désespère le plus, je crois, ce n’est pas eux : ce sont les gens qu’on rencontre sur le terrain, ouvriers, artisans, chômeurs, ou précaires, chez qui le discours finit par percer. Qui vous le glissent, presque timidement, au détour d’une discussion : maintenir la protection sociale, investir, « c’est vrai que c’est difficile, quand même, avec la dette… »
Alors, si : malgré le trop-plein du refrain, il faut remonter au front.
Redire les choses, encore et encore, tant qu’eux n’auront pas arrêté : leur dette, c’est du bidon. Un prétexte pour imposer leurs politiques, tailler dans le social, l’écologie et les investissements, et protéger les profits de leurs amis.
Dire, d’abord, parce qu’il faut toujours commencer par là, leur nullité : la dette, c’est eux, avant tout. Qu’on se replonge dans les chiffres de l’Insee, ceux du 3e trimestre 2017, alors que Macron était président depuis quelques mois : la dette, alors, s’élève à 2200 milliards. Contre 3300 milliards aujourd’hui, geignait le ministre Lombard.
Je pose 3300, je soustrais 2200, même pas de retenue ou quoi, ça se fait de tête… 1100 milliards : Macron le Mozart de la finance et ses gouvernements successifs, Edouard Philippe, Jean Castex, Elisabeth Borne, et Bruno Le Maire à la baguette, ont creusé la dette de 1100 milliards, soit exactement 50 % d’augmentation en huit ans. On ne doit pas être loin du record de France. (Et qu’on précise : sur cette somme, seuls 165 milliards sont imputables au « quoi qu’il en coûte » de la période Covid, a calculé l’Insee : leur joker ne tient pas la route.)
Bref : ils sont nuls.
Mais pas seulement : ils sont intéressés, aussi. Car désendetter, ça peut rapporter gros, mais seulement à certains. En 2005, c’est Nicolas Sarkozy, alors à l’Intérieur, et le ministre de l’Économie Thierry Breton qui le clamaient sur tous les tons, en découpant bien le mot : « Il faut dé-sen-det-ter la France ! » Leur objectif : privatiser, pour renflouer les caisses, les autoroutes françaises. Elles sont alors bradées, pour 14,8 milliards, à trois sociétés privées. Quinze ans plus tard, elles auront rapporté… 30 milliards aux actionnaires. Une rente, énorme. Qu’aurait-on pu faire, avec cet argent ? Pendant qu’eux accélèrent ainsi la ruine du pays, et augmentent, donc, la dette, leur si chère dette ? Qu’on ne nous dise pas que c’était un autre temps, d’autres gens : dans les cabinets ministériels de l’époque, deux personnes ont poussé de toutes leurs forces pour faire aboutir la privatisation : Alexis Kohler, récemment encore secrétaire de l’Élysée, et Borne, ancienne Première ministre, aujourd’hui à l’Éducation.

Début d’un article de Cyril Pocréaux dans le journal Fakir de mai 2025.

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