Droitisation de la société française

Le sociologue Vincent Tiberj montre que la supposée « droitisation » de la société française concerne surtout les classes dominantes, mais non le cœur de la nation, attachée d’abord aux valeurs d’égalité et de redistribution sociale.

On l’entend sans cesse : la société française serait en voie de « droitisation ». Ceux qui regardent CNews, peut-être déjà convaincus, voire pleins d’espoir en ce sens, se persuadent d’une évolution vers la droite d’une majorité de citoyens français.
Et pourtant, selon les questions posées et les méthodes employées par les sondeurs, nombre d’enquêtes d’opinion dans l’Hexagone montrent exactement l’inverse. Un phénomène qui rappelle les pseudo-affirmations, sans cesse répétées, que le « niveau scolaire baisserait » depuis 1968, alors qu’au contraire le niveau des diplômes et le nombre d’élèves les décrochant indiquent en fait une nette hausse tout au long de ces décennies. Deux des plus grands spécialistes français des questions d’éducation, Christian Baudelot et Roger Establet, l’avaient démontré dans un essai paru en 1989(Le niveau monte).

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Certes, on pourra contester une part de la méthode de cette recherche, pourtant approfondie, qui s’appuie pour une grande part sur les sondages. Bien conscient des risques d’un tel « biais », l’auteur y consacre un long développement au début de son ouvrage, rappelant et discutant les risques méthodologiques et principiels (dont les vives critiques de Pierre Bourdieu) de leur emploi, notamment ceux induits par la formulation des questions posées. On peut toutefois regretter que l’auteur n’aille pas jusqu’à en souligner les effets potentiels, contribuant à construire les supposées idéologies dominantes – ne citant pas par exemple l’ouvrage fondamental de Patrick Champagne (lui-même élève de Bourdieu) sur la question, Faire l’opinion (Minuit, 1990).

Toutefois, son ouvrage permet de déceler, dans un apport certain, combien ladite « droitisation passe d’abord par en haut, notamment dans les champs intellectuels, médiatiques et intellectuels », la où « les voix qui la portent ont vu leur espace et leur influence grandir ces dernières années, y compris pendant les périodes électorales alors que les temps de parole sont encadrés ». Aussi influents que puissent être certains médias comme CNews, Europe 1 ou Le Journal du dimanche (tous propriétés du milliardaire ultra-conservateur Vincent Bolloré), leurs audiences demeurent limitées par rapport à celles de chaînes de l’audiovisuel public, qu’il s’agisse de France Télévisions ou Radio France. Ce qui permet à Vincent Tiberj de souligner – point central de sa recherche – que « les citoyens semblent moins touchés qu’on le pense » par cette propagande réactionnaire, parfois raciste, ou ce « bruit de fond conservateur ». Et demeurent d’abord préoccupés par les inégalités sociales, la redistribution des richesses et leur pouvoir d’achat. Et le sociologue de conclure par une note optimiste : « Les citoyens sont de plus en plus capables de jouer leur rôle, grâce à l’élévation du niveau de diplôme et leur capacité à aller chercher et à traiter les informations. » Espérons que cela déprimera (un brin) Pascal Praud.

Extraits d’une recension de La droitisation française. Mythe et réalités de Vincent Tiberj dans Politis du 12 septembre 2024.

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