Désobéissance civile

J’ai demandé à rencontrer le préfet du Tarn, puis je me suis rendu sur place et j’ai demandé aux forces de l’ordre de me laisser dialoguer avec les militants-écureuils dans les arbres, mais elles ont refusé. Le préfet leur a donné l’instruction de me laisser monter dans la nacelle pour aller parler aux militants. Je voulais entendre leur récit. Ils m’ont montré les vidéos des stroboscopes incessants la nuit, des cris pour les empêcher de dormir. Or la privation de sommeil est une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il y avait aussi les questions de droit à l’alimentation, car ils n’avaient plus de nourriture. Malgré
mon insistance, il m’a été refusé de leur porter un sac de provisions et des bidons d’eau. Je n’ai pu que leur fournir des médicaments, notamment pour une des militantes, diabétique, qui était en panne de pompe à insuline. Le préfet avait donné l’ordre de laisser l’accès à l’eau potable, mais un des chefs de chantier d’Atosca – le porteur de projet- avait saboté les bidons d’eau. Les écureuils m’ont également raconté comment des grenades lacrymogènes étaient parfois tirées en l’air, en direction des tentes ou des duvets. Le préfet m’a tenu le discours habituel sur les militants violents, tandis que le colonel de gendarmerie a reconnu certaines des pratiques abusives, comme les lumières stroboscopiques.
En outre, il y a eu des entraves envers les médias : ce jour-là, ils ont été obligés de rester en bas du ravin, même pour me parler, et ne pouvaient pas voir la scène. Idem pour les observateurs de la Ligue des droits de l’Homme. Le dossier est complexe et des actions, notamment auprès de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), sont en cours, mais il est clair que les militants contre l’A69 étaient légitimes dans leur combat pour protéger la zone et qu’il y a eu une violation claire du droit de manifester.

[…]

Mon rôle est aussi de rappeler que la désobéissance civile est protégée par le droit international. Pour définir celle-ci, j’applique plusieurs critères cumulatifs : l’intention délibérée d’une personne ou d’un groupe d’enfreindre une loi, d’agir sans violence pour défendre une cause d’intérêt général, et de le faire publiquement. Quand des militants bloquent une route ou un aéroport, c’est parce que, derrière, il y a le poids du climat ; quand ils jettent de la peinture, c’est lié à l’intérêt qu’on accorde à la valeur culturelle d’un monument au regard de l’urgence climatique. Pour les Nations unies, sont considérés comme de la violence les actes envers les personnes, mais le concept de violence envers les biens matériels n’existe pas en droit pénal. Si un militant lance une pierre ou un cocktail Molotov sur une personne, il ne sera pas éligible à la protection de l’ONU. Un militant qui casse un cadenas pour faucher 10 mètres carrés de culture transgénique, et ainsi protester contre ces nouvelles semences, a certes transgressé la loi, mais c’est un acte symbolique, donc je ne considère pas cela comme de la violence. Gandhi ou les suffragettes ont été violents à l’époque. ils ont franchi une étape que, moi,je ne suis pas à l’heure actuelle prêt à franchir parce que j’ai ces contraintes des Nations unies. Cette clause de non-violence est un garde-fou important.

Extraits d’un entretien de Michel Forst, rapporteur spécial de l’ONU, dans Politis du 06 juin 2024.

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