Climat maccarthyste

Face à la répression du mouvement de solidarité avec la Palestine, le journalisme dominant poursuit tête baissée sa campagne de désinformation de masse. Sur fond de journalisme de démobilisation sociale ordinaire et de diabolisation de la gauche, les médias dominants déploient leurs cabales réactionnaires et exacerbent le confusionnisme ambiant. Pour un seul résultat : une information profondément biaisée qui méprise les Palestiniens et étouffe la Palestine, alors même que s’effrite l’hégémonie du récit dominant édicté au lendemain du 7 octobre.

À la mi-décembre, nous dénoncions le rôle majeur des médias dominants dans le climat maccarthyste, le rabougrissement de la parole autorisée et pointions l’insondable médiocrité de l’information politique et internationale. Les mois passant, le constat n’a fait que s’aggraver. La répression de l’État et des directions universitaires contre les mobilisations étudiantes en soutien de la cause palestinienne, les violences policières contre les manifestants, les lourdes condamnations judiciaires, les sanctions sur les lieux de travail, la démultiplication d’interdictions de conférences et de rassemblements, le refoulement aux frontières de personnalités palestiniennes, les multiples convocations pour « apologie du terrorisme» n’ont amené que de très rares et timides réactions dans une corporation journalistique où l’on aime pourtant se présenter comme des défenseurs intransigeants de la liberté d’expression.

Pis, nombre de ces cas de censure plus ou moins franche et assumée passent totalement sous les radars. Et quand ils n’appellent pas à durcir la répression, les grands médias – toujours prompts à dénoncer « la cancel culture » – accompagnent cette nouvelle accélération du processus autoritaire, dans un suivisme particulièrement affligeant à l’égard de la classe politique, qui oscille entre timides protestations et concert d’approbation. En dehors des médias indépendants, les journalistes à s’être indignés publiquement de l’ampleur de la répression et des atteintes aux libertés publiques se comptent sur les doigts d’une main et s’expriment généralement en leur nom propre : aucune trace d’initiative collective, pas le moindre engagement éditorial significatif à l’échelle d’un organe de presse, des sociétés de journalistes muettes.

On ne s’étonne guère de la passivité de médias qui, depuis huit mois, marginalisent et diabolisent toute pensée s’écartant du récit dominant ; somment leurs interlocuteurs de se conformer au cadrage et à la sémantique imposés ; harcèlent les responsables de La France insoumise de « questions » sous forme d’injonctions ; figent l’espace-temps du « débat » au 7 octobre… Indéniablement, les grands médias ont participé à la criminalisation politique en cours, amorcée dès le mois d’octobre. De gardes à vue médiatiques préventives en invectives infâmantes, nombre de commentateurs ont ainsi contribué à banaliser et à crédibiliser l’accusation d’ « apologie du terrorisme », qui se concrétise aujourd’hui dans de multiples convocations policières.

Mais un instant, on aurait pu croire qu’un tel moment de bascule liberticide fût un détonateur chez les garants médiatiques autoproclamés de la démocratie. Las… Entre dépolitisation crasse, routines professionnelles pavloviennes, détestation viscérale et militante de La France insoumise et engagement résolu en faveur de la répression, les animateurs du débat public ont perdu toute boussole démocratique. Dans le paysage dominant, le « contre-pouvoir » se résume au positionnement de l’éditocratie la plus « modérée » : appeler à ce que les opinions politiques ne soient pas judiciarisées mais débattues dans la sphère publique, tout en feignant de ne pas réaliser combien cette même sphère les aura discréditées, marginalisées et criminalisées huit mois durant, en piétinant le pluralisme et les règles de déontologie les plus élémentaires.

Dans la presse, les titres dont on aurait – encore et naïvement- espéré un positionnement résolu en faveur des libertés publiques soufflent ainsi le chaud et le froid. Au Monde et à Libération, les directions veillent jour après jour à ce que jamais ne tarisse le filet d’eau tiède qui leur sert de ligne éditoriale et les services « politique », à ce qu’aucun article à charge contre La France insoumise ne manque à l’appel. Démultipliant les tribunes contradictoires, célébrant de pseudos « dialogues » aux prétentions « équilibrées », ouvrant grand leurs portes aux éditorialistes abêtissant le débat public, les deux quotidiens croient sans doute remplir leur devoir d’animation d’un débat « pluraliste » et « raisonnable ». Ils ne participent en réalité qu’au confusionnisme ambiant et démontrent leur incapacité à tenir une ligne à la hauteur de la conjoncture : en premier lieu, celle d’une guerre génocidaire et d’une catastrophe humanitaire incommensurable en Palestine, et s’agissant de la France, celle d’un durcissement considérable de l’autoritarisme d’État.

Du côté de la presse hebdomadaire – dominée par des titres à l’orientation droitière plus ou moins décomplexée -, on ne pouvait espérer quoi que ce soit en matière de défense des libertés publiques. S’agissant de l’audiovisuel, où les formats au rabais, la concurrence des chaînes en continu et la pression idéologique de l’empire Bolloré ruinent la qualité de l’information, on pouvait craindre le pire. Effectivement, dans une inexorable fuite en avant allant jusqu’à l’exaltation de la répression, radios et télévisions ouvrent leurs micros à des escadrons de commentateurs hors-sol et permettent aux cadrages et aux discours d’extrême droite de s’épanouir. La talk-showisation triomphante du débat public atteint des sommets inégalés, les plateaux de bavardage devenant le dispositif-phare des espaces médiatiques les plus en vue, sur les chaînes d’information comme dans les magazines du service public, supposés « respectables ». Ainsi, tandis que les positions de la classe politique dominante sur la situation au Proche-Orient sont largement laissées à l’ombre des critiques journalistiques, ces dernières se concentrent sur La France insoumise et les mouvements de solidarité avec le peuple palestinien. Partout, l’éditocratie décline son procès à charge : antisémitisme, inculture, apologie de la violence. Les étudiants de Sciences Po ou de la Sorbonne en ont amplement fait les frais : invisibilisés, cloués au pilori, discrédités, sermonnés, taxés d’antisémites et d’extrémistes.

Début d’un article du magazine trimestriel Médiacritiques de juillet 2024, édité par l’association Acrimed.

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