Pourquoi vous devriez vous informer autrement ? La réponse dans cette vidéo.
Cépages interdits, pesticides autorisés
La plupart des vignobles en France sont constamment malades. En général, ils subissent entre huit et dix-huit traitements par an. 80% de la totalité des fongicides utilisés en France le sont pour la vigne, alors qu’elle ne représente que 3% des surfaces agricoles. Seuls les vendeurs de pesticides tirent profit de cette situation. Or, « la résistance aux maladies, c’est la chose la plus facile à sélectionner ». Près de Béziers, Vincent Pugibet sélectionne par reproduction sexuée. Il voit vite quels sont les pépins qui, en pleine terre, survivent aux maladies et donnent des plants résistants. Il croise ainsi les cépages que l’on connaît, fragiles, de vigne européenne (vitis vinifera), avec des cépages de vigne asiatique, tropicale ou encore américaine. Cette solution fonctionne, on le sait depuis plus d’un siècle :
c’est l’utilisation de porte-greffes de cépages américains, puis le croisement et la culture d’hybrides, qui ont sauvé la vigne européenne au XIXe siècle, incapable de faire face à l’oïdium et au phylloxera, alors que les espèces américaines, ayant évolué avec les parasites, étaient résistantes. Trop résistantes ? Trop productives ? Officiellement, c’est pour éviter la surproduction qu’en 1934, les vins à base de Noah, d’Othello, de Clinton, d’Isabelle, d’Herbemont et de Jacquez, des cépages américains, furent interdits à la commercialisation. En 1958, une nouvelle réforme a interdit la plupart des hybrides. 62 000 hectares de vigne furent arrachés . Et l’histoire se répète en Roumanie lors de l’adhésion à l’Union en 2007, quand près de 85 000 ha de cépages hybrides – soit la moitié du vignoble du pays ! – furent interdits à la commercialisation.
Mais si Stéphan Balay s’intéresse aux cépages interdits dans son documentaire Vitis prohibita, c’est aussi parce que leur avenir est prometteur.En Romnanie comme en France, surtout dans les Cévennes, les pieds réservés à la « consommation familiale » n’ont pas été arrachés. Quelques passionnés et associations – comme Fruits Oubliés – font le forcing pour une pleine reconnaissance de ces cépages, dont on redécouvre aujourd’hui les qualités de résistance aux parasites. En parallèle, la législation évolue. Si Vincent Pugibet, notre viticulteur biterrois, témoigne avoir planté à ses débuts des cépages « non autorisés », il peut désormais commercialiser le vin issu de ses « vignes expérimentales ». Même les vignerons très pro de l’IGP des Cévennes étudient aujourd’hui la possibilité d’assemblages à base de cépages américains… L’Isabelle, le Noah et la quasi-totalité des hybrides, interdits jusqu’en 2003, sont désormais dans une zone grise juridique qui pourrait préfigurer d’une future libéralisation bienvenue. Les consommateurs pourraient alors découvrir ce goût « foxé » caractéristique des vins issus des cépages américains. Mais pour que le législateur européen dise « oui », il faudra aussi qu’il sache dire « non » aux marchands de pesticides.
Article de Fabien Ginisty dans le mensuel l’âge de faire d’octobre 2023.