Pourquoi vous devriez vous informer autrement ? La réponse dans cette vidéo.
La fiction de la dématérialisation
La dématérialisation et la tertiarisation de l’économie, souvent invoquées comme solutions pour verdir la croissance, n’offrent quant à elles guère de perspectives. Tout d’abord, une grande partie de nos activités et consommations – et non les moindres du point de vue écologique – n’est pas dématérialisable, à commencer par l’alimentation, le logement, les transports, l’habillement, etc. L’économie dite « immatérielle » ne remplace pas ces consommations : elle s’y superpose.
Mais ce n”est pas tout. Les consommations dites « immatérielles » reposent sur une économie qui n’a rien d’immatériel : déplacements des prestataires et usagers, espaces de mise en relation (bâtiments, locaux…), terminaux informatiques et réseaux de communication, etc. L’exemple récent du développement de l’intelligence artificielle (IA) est illustratif : les émissions de gaz à effet de serre (GES) de Microsoft ont augmenté de 29 % entre 2020 et 2023, et celles de Google de 48 % entre 2019 et 2023, principalement à cause de la construction et de l’opération de nouveaux datacenters requis pour l’IA. Alors qu’en 2022 les datacenters consommaient déjà, au niveau mondial, l’équivalent de la demande électrique totale de la France , l’AIE anticipe que leur consommation pourrait doubler entre 2022 et 2026, tirée par le développement des services numériques, dont l’IA et les cryptomonnaies : le « cloud » masque des impacts qui n’ont rien de vaporeux…
Enfin et surtout, de nombreux « services » opèrent un effet levier sur d’autres secteurs. Par exemple, la publicité et le marketing incitent à la consommation, la finance dope l’investissement et la production, les services informatiques accélèrent la logistique et la vente en ligne, permettant la gestion de flux croissants de marchandises. Bref, la fiction d’une économie dématérialisée n’est pas près de se matérialiser.
Une économie en expansion ne peut être circulaire.
Si la dématérialisation de l’économie ne convainc pas, les partisans de la croissance verte s’en remettent alors à l’économie circulaire, arguant que le découplage entre activité économique et consommation de ressources serait possible si tous les matériaux nécessaires à la production de nouveaux biens étaient issus du recyclage ou du réemploi de nos déchets. L’idée est belle, mais se heurte à plusieurs limites.Certains produits ne sont pas recyclables. d’autres sont contaminés par des additifs qui excluent certains usages, et d’autres encore sont durablement immobilisés dans les infrastructures. Par ailleurs, la complexité des produits rend souvent difficile ou pratiquement impossible l’identification, la séparation et la récupération des différents éléments à des degrés de pureté satisfaisants (par exemple : un circuit électronique ou des alliages métalliques complexes). Certains matériaux subissent aussi une altération irréversible de leur qualité, limitant le nombre de cycles ou les cantonnant, après recyclage, à des usages moins exigeants (on parle alors de décyclage ou downcyclage – par exemple, les emballages plastiques transformés en fibres textiles).
Surtout, fondamentalement, une économie circulaire en croissance est une contradiction dans les termes, une impossibilité mathématique. Car dans la mesure où, à un instant donné, la quantité de matériaux disponible pour être recyclée correspond tout au plus au volume d’une demande antérieure, le recyclage ne peut jamais satisfaire l’intégralité d’une demande croissante. À moins de stabiliser ou de réduire la demande, le recyclage ne peut que repousser de peu l’épuisement d’une ressource.
Extrait d’un article de Socialter de l’automne 2024.