La culture du viol dans les médias

– Depuis l’ouverture du procès Mazan, le terme de « culture du viol » revient souvent dans les médias. Pensez-vous qu’une nouvelle fenêtre s’ouvre pour en parier ?

– Pas du tout. Je pense que c’est une erreur de le croire. Il est vrai que les médias reprennent davantage l’expression de « culture du viol » qu’au début de #MeToo. Mais il faut se méfier du contexte dans lequel les termes sont employés. Par exemple, le terme « féminicide » est aujourd’hui décorrélé de sa dimension structurellement sexiste et misogyne. Il n’est plus que considéré comme l’assassinat par un homme de sa compagne.
De la même manière, l’expression « culture du viol » est souvent compris comme : « tous les hommes sont des violeurs » ou pire, comme une culture obscure que partageraient seulement une partie d’entre eux, les violeurs. Je crains que les réactions médiatiques au procès Mazan n’aillent dans ce sens. Or, dans « culture du viol », le terme « culture » doit se comprendre au sens anthropologique. C’est-à-dire comme un ensemble de croyances que nous entretenons toutes et tous et qui ont pour conséquence que des hommes commettent des violences sexuelles et se sentent légitimes de le faire. Les accusés de Mazan n’en sont qu’un exemple.

– Alors, de quoi est faite la culture du viol ?

– Concrètement, c’est l’ensemble des idées reçues que notre société véhicule au sujet de ce que doit être une victime, ce que doit être un viol et de ce que doit être un violeur. D’abord, un « bon violeur », c’est forcément un autre que soi, un monstre : un homme de classe populaire, racisé, noir ou arabe, ou bien un homme de classe très dominante, qui a une maladie mentale, une perversion. Ensuite, un « bon viol » est commis avec des violences physiques importantes, de préférence sous la menace d’une arme. Enfin, une « bonne victime » ne peut pas bouger, se débat et crie.
En cela, le procès Mazan correspond tout à fait à ces idées reçues et va même les renforcer : les violeurs sont filmés et les viols sordides, commis en réunion et à de multiples reprises. La victime est sacralisée par la presse car c’est une bonne victime : elle est blanche et elle ne pouvait réagir car droguée.
Mais qu’en serait-il si la victime avait été noire ? Si elle avait été dans un club échangiste ? Si elle était bien éveillée, en état de sidération ? Les choses auraient été bien différentes… Voilà ce qu’entraîne la culture du viol : une victime qui ne correspondrait pas à ses stéréotypes ne sera bien souvent pas crue. Et on parle de « culture » parce que ces clichés se transmettent de génération en génération, évoluent et imprègnent toute la société.

– Ces stéréotypes décrédibilisent toutes les violences sexuelles qui n’y correspondraient pas. Comment ?

– Pour être crue et considérée comme victime, il faut impérativement une conjonction de ces trois aspects : un « bon » viol, une « bonne » victime, un « bon » agresseur. Et c’est très rare. Les auteurs ne sont dès lors quasiment jamais considérés comme coupables.
Par exemple, les sondages indiquent qu’un nombre non négligeable de Français pensent encore qu’une fellation ou qu’un cunnilingus forcés ne sont pas des viols. Il en va de même pour les viols conjugaux. Ainsi, ces violences sexuelles sont invisibilisées, minimisées dans leur qualification et dans leur nombre.

Concernant les victimes, celles qui ne correspondent pas assez aux critères de beauté vont être accusées de mentir tandis que celles qui y correspondent trop vont être accusées de l’avoir bien cherché. Par ailleurs, elles subissent ce qu’on appelle en sociologie la « théorie du monde juste » qui veut qu’il arrive de bonnes choses aux bonnes personnes et de mauvaises choses aux mauvaises personnes. Les victimes se voient ainsi souvent reprocher d’avoir porté une tenue qui aurait provoqué le viol, de ne pas s’être assez défendues, […]

Début d’un entretien de Valérie Rey-Robert, autrice de La culture du viol à la française, dans le mensuel CQFD de novembre 2024.

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