Rémi Fraisse et mensonges d’État

J’étais loin d’imaginer qu’on pouvait tuer des gens ainsi. Ce jour-là, un de ses amis voulait s’y rendre, mais n’avait pas de véhicule. Rémi a décidé d’y aller, de l’emmener ainsi que d’autres amis, car l’événement était annoncé festif avec des concerts. Dans l’après-midi, il est passé à la maison avec eux pour récupérer un blouson et un duvet. Ils ont assisté à des débats et aux concerts. À la fin, ils ont entendu des bruits qui ont attiré leur attention. Est-ce qu’ils ont compris que c’étaient des affrontements ? Je n’en sais rien. Un grand nombre de personnes ont décidé de se rapprocher. La suite de l’histoire, vous la connaissez. Rémi n’était ni manifestant, ni zadiste, ni activiste. Oui, il avait une conscience écologique. Et peut-être que s’il avait assisté ce jour-là à de tels événements et que quelqu’un était mort, il serait devenu militant.

Pourquoi témoignez-vous aujourd’hui ?

Dix ans après, il me semblait important de témoigner des mensonges d’État qui ont suivi la mort de Rémi et de la façon dont a été traité le dossier. Mais aussi pour permettre aux gens de poser un autre regard sur les événements actuels qui se déroulent dans les manifestations contre les mégabassines ou sur la mobilisation contre l’A69. J’ai lu le dernier rapport de la commission d’enquête sur les atteintes au droit lors des opérations de police et de gendarmerie sur l’A69. C’est assez consternant. L’histoire se répète. L’État n’a pas tiré de leçons de la mort de Rémi. Le mode opératoire, les outils de communication sont toujours les mêmes. Dès qu’il y a un blessé ou un mort, ils cherchent à créer de la confusion, de l’ambiguïté, en mentant sur le déroulé des événements, en criminalisant la victime, voire la famille, pour les transformer en coupables et ainsi tenter de justifier la violence d’État.

Comment se sont passées les heures immédiates qui ont suivi lu mort de Rémi ?

Ça a été deux jours de mensonges, de diverses stratégies pour le rendre responsable, pour incriminer la famille. Le premier mensonge concerne les conditions de la mort de Rémi. Il a très rapidement été annoncé qu’un mort avait été trouvé dans la forêt. Effectivement, des affrontements s’étaient déroulés dans la forêt. Dire ça faisait passer Rémi pour un méchant, un manifestant cherchant la confrontation. Des journalistes du Monde ont rapidement révélé des enregistrements de dialogue entre les gendarmes qui disaient : « Il est mort, le mec, il ne faut pas que ça se sache. » Rémi était bien mort devant eux, loin de la forêt, et ils le savaient depuis le début. Ils ne voulaient pas que ça se sache. Le deuxième mensonge était de faire croire que Rémi avait un cocktail Molotov dans son sac à dos, qui aurait malencontreusement explosé. Ils ont aussi dit que les zadistes avaient volé son sac à dos, donc ils ne pouvaient rien vérifier. Or, quand on a lu le dossier, on a découvert que le sac à dos faisait partie des pièces à conviction, donc il n’a pas été volé, il a bien été récupéré par les gendarmes, qui savaient d’entrée qu’il n’y avait pas de traces de cocktail Molotov. Leur discours a changé quand il a été annoncé que des traces de TNT avaient été retrouvées sur le corps. À partir de là. ils se sont retrouvés un peu acculés face à la vérité. L’enquête à charge contre Rémi ayant échoué, l’enquête à décharge pour les gendarmes pouvait démarrer.

Comment ont-ils fuit pour tenter de vous intimider et d’incriminer votre famille ?

Dans toutes les auditions, ils demandaient toujours aux copains de Rémi : « Où est le sac à dos ? Qu’est-ce qu’il y avait dedans ? Est-ce que Rémi fumait des pétards ? » Ils ont également fait une perquisition chez Rémi. Ils ont pris son ordinateur: il n’y avait rien de compromettant dedans, mais ils ont mis plusieurs mois à le rendre. Sûrement pour nous faire peur, nous faire douter. On a découvert également dans le dossier une histoire complètement lunaire. La sœur de Rémi se prénomme Chloé et était répertoriée dans son téléphone à « Clo ». Les gendarmes ont alors cherché et trouvé une Clotilde Fraisse qui n’a aucun lien de parenté avec Rémi. Son véhicule a été volé et déposé volontairement devant la gendarmerie de Rodez, dans le but de faire croire que la sœur de Rémi aurait eu envie de se venger. Cette enquête était dans le dossier et a été clôturée aussitôt par un ordre venu du ministère de l’intérieur, quand ils se sont rendu compte, j’imagine, que cette Clotilde n’avait aucun rapport avec la sœur de Rémi. Les heures qui ont suivi la mort de Rémi ont servi à tenter de l’incriminer, lui et ses proches. Pourquoi ces mensonges et cette mise en scène en haut lieu, sinon pour cacher leurs responsabilités dans sa mort ? Ils ont su à la minute où il est mort qu’ils l’avaient tué.

Extrait d’un entretien de la mère de Rémi Fraisse dans Politis du 17 octobre 2024.

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