Pourquoi vous devriez vous informer autrement ? La réponse dans cette vidéo.
Cynisme et légitime défense
Étrange, cette journée de commémoration ! Tandis que l’on pleurait les victimes du 7 Octobre, assassinées par le Hamas, on tuait à foison des innocents à Gaza, à Beyrouth, en Cisjordanie. Par l’effet d’une effarante simultanéité on produisait le malheur que l’on voulait conjurer. Chacun avait sa commémoration. Aux abords de Gaza, les rescapés des kibboutz martyres étaient plongés dans le chagrin et l’affliction. À Tel-Aviv et à Jérusalem, les parents des otages espéraient encore le retour des leurs, mais les uns par la guerre, et les autres par la paix. Tandis qu’à Paris, à l’appel du Crif, et en présence de la moitié du gouvernement, on était plus proches du meeting politique de droite que de l’hommage aux victimes. On a hué le nom de Macron parce que le président avait eu la timide audace de demander aux États-Unis (qu’il n’a jamais nommés) de cesser de livrer des armes. On a acclamé Barnier parce que les massacres de Gaza, les 41 000 morts, les 200 000 blessés, brûlés, défigurés, mutilés, c’est de la « légitime défense ». Et parce que les morts, c’est uniquement la faute du Hamas. Comme si le crime n’appartenait pas à celui qui a les moyens de le faire cesser.
Dans un article de 1987, notre ami très regretté Ilan Halévy résumait l’histoire du sionisme « passé de l’innocence à la mauvaise foi ». Celui que l’on surnommaít « le juif de la direction de l’OLP », qui avait l’art du mot juste, serait sans doute plus sévère aujourd’hui. L’ignorance des premiers pionniers découvrant l’existence des Arabes, ou s’étonnant que ceux-ci puissent avoir une revendication nationale, n’est plus permise depuis longtemps. Le travestissement en antisémitisme de toute révolte contre l’entreprise coloniale s’apparente à une escroquerie morale.
Ne reste plus que le cynisme. La guerre poursuit des buts inavouables. Ce sont hélas les plus extrémistes des colons qui disent la vérité quand ils célèbrent le 7 Octobre comme une fête. Avec eux, l’Israël de Netanyahou poursuit une entreprise d’épuration ethnique entamée en 1948. Pour les israéliens, le 7 Octobre a été un drame épouvantable. Un acte de barbarie absolue. Mais pour Netanyahou et ses acolytes, c’est une aubaine. À Paris, le président du Crif, Yonathan Arfi, leur vient en renfort en tentant de dissimuler les ressorts profonds et historiques des guerres israéliennes. Il dénonce les « fausses causalités ». Ni les révoltes en Palestine, ni les manifestations de solidarité à Paris n’ont à voir avec l’intensification du colonialisme. Elles n’ont qu’une seule cause : l’antisémitisme. Le drame, c’est que plus cette contre-vérité infuse dans les médias, et plus le fléau de l’antisémitisme se répand.
Mais Yonathan Arfi insiste. Pour lui, le moteur de l’antisémitisme « n’est pas l’indignation face aux difficiles images [sic] de Gaza ». Gaza n’est qu’une « justification fallacieuse ». Israël est attaqué pour ce qu’il est, « l’État des juifs »,jamais pour ce qu’il fait : Jamais il n’a fait donner ses bulldozers et ses chars en terres palestiniennes. Un film-document, magnifique et terrible, No Other Land, arrivera bientôt sur nos écrans. Il montre avec une force inégalée la colonisation. Les politiques, les journalistes auront-ils le courage de voir la vérité en face ?
La nature coloniale du conflit fait toujours l’objet d’un déni obstiné. Elle est pourtant l’éléphant au milieu de la pièce.[…]
Début d’un article de Denis Sieffert dans Politis du 10 octobre 2024.