Les jeunes, la lecture et les réacs

Les résultats de la dernière étude du Centre national du livre sur les jeunes et la lecture ont été l’occasion d’un énième emballement médiatique sur la « décadence » de notre époque. Interprétation malhonnête d’un rapport Qui va à l’encontre de l’agenda politique du gouvernement et des médias dominants.
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De son côté, la presse réactionnaire s’excitait aussi, habituée des articles alarmistes sur la décadence sans fin des jeunes. […]
On fait le point avec Monté de Linguisticae, membre du collectif des Linguistes atterré-es, et producteur de vidéos de vulgarisation linguistique.

Quel est le problème dans l’analyse de l’étude du CNL par les médias dominants et par le gouvernement ?
« À travers des discours catastrophistes, ils cachent les vraies questions à aborder par rapport à la lecture, en particulier le rapport à la langue et les conditions d’enseignement à l’école. C’est d’un côté une panique morale des médias qui cherchent à flatter leur lectorat réactionnaire. De l’autre, un positionnement politique du gouvernement en pleine période électorale pour les Européennes. Ils parlent à leur audience ou électorat potentiel, et visent en particulier les vieux, qui votent plus et plus à droite. Le reste du temps, la question de la lecture et la situation des auteurs, ça ne les intéresse pas. »

L’info principale, c’est le temps passé chaque jour devant les écrans par les 16-19 ans en comparaison à celui consacré à la lecture…
« Cette comparaison n’a aucun sens. On compare une pratique culturelle (lire) et un support (les écrans), alors qu’on peut avoir différentes pratiques culturelles sur différents supports. On pourrait se lamenter qu’on lise moins de livres papiers au profit des écrans, mais ça ne permet pas d’affirmer qu’on lise moins en général. Les jeunes n’ont jamais autant lu, notamment parce qu’i1s lisent sur leur téléphone, où ils ont un accès facilité et gratuit à certains contenus comme les mangas. Cette focalisation est malhonnête, car l’étude du CNL dit beaucoup de choses intéressantes, mais qui iraient à l’encontre d’un éternel discours sur la baisse constante du niveau de lecture chez les jeunes – qui est en réalité plus proche de la Stabilité. »

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Tu explique que la lecture de roman se maintient grâce au roman d’amour et à la dark romance. Pourtant, les politiques et les médias n’en parlent pas ou mal, ça ne serait pas de la vraie littérature ?
« Le problème ce n’est pas que les jeunes ne lisent pas ou moins, c’est qu’ils ne lisent pas ce qu’i1 faudrait lire : les « classiques ». Ce qui est fascinant, c’est qu’une partie de la bourgeoise conservatrice et des tenants de la culture légitime se plaignent qu’on ne les lise plus, alors qu’à leur sortie ils étaient souvent décriés et condamnés par les bourgeois de l’époque. Madame Bovary de Flaubert n’était pas mainstream à sa sortie, il a fait scandale. Et si on retire les ventes scolaires, ce genre de « classique » ne se vend pas massivement. Cette « vraie littérature » est un outil de distinction. »

Entretien de Monté de Linguisticae, membre du collectif des Linguistes atterré-es dans le mensuel CQFD de juin 2024.

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