Pourquoi vous devriez vous informer autrement ? La réponse dans cette vidéo.
Sobriété : écogeste vs changement du système
« Je crois profondément en la sobriété ; consommer moins et consommer mieux, oui, mais pas en prenant les vendeurs ou les commerces physiques comme cible, et pas en culpabilisant, mais en incitant. » Le 23 novembre dernier, au micro de France Info, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, s’attaquait à la campagne de communication lancée par son collègue Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, visant à inciter les Français à des modes de consommation plus sobres.
L’objet du délit ? Quatre spots publicitaires mettant en scène un « dévendeur » fictif conseillant à ses clients de réparer, louer ou acheter en reconditionné plutôt que d’acheter neuf. « Une connerie », selon le président de la République.
La majorité des Français serait certainement passée à côté de cette opération de com sans cette polémique, qui révèle les contradictions du « en même temps » lorsque l’on parle d’écologie : « inciter les Français » à la sobriété et à la déconsommation, mais sans froisser personne… donc en consommant comme avant.
Une contradiction dans les termes à l’heure de l’urgence écologique.
Ce tollé aura surtout invisibilisé une autre information qui aurait pourtant eu le mérite d`être relayée plus largement. Dans un baromètre publié à l’occasion de cette campagne, les Français interrogés jugent en grande majorité que « les gens consomment trop » (à 83 %) mais que, en ce qui les concerne, leur mode de vie est déjà plutôt sobre (à 82 %), souvent contraint par leurs revenus.
À l’inverse, les sondés considèrent que l’État, les entreprises et les industriels devraient faire plus pour limiter la dégradation des ressources de la planète.
Et en appellent pour cela à des mesures collectives et politiques contre le productivisme extractiviste. Comme, par exemple, la mise en place de normes de fabrication favorisant les produits plus résistants, réparables et durables, quitte à ce que leur prix soit plus élevé (90 % des Français interrogés sont pour).
Ou encore la limitation, voire l’interdiction, de la vente de produits néfastes pour l’environnement (82 %). On pourrait également ajouter l’extension de la garantie à dix ans – mesure demandée par les associations écologistes – qui forcerait les entreprises à revoir en profondeur la conception de leurs produits et donc leur modèle économique. Jusqu’à « étendre l’anticapitalisme aux objets », pour reprendre la formule du sociologue Razmig Keucheyanz ?
Cette étude rappelle ainsi que pour faire bifurquer nos modèles, la « pédagogie » chère aux élites et les gestes individuels ne suffiront pas. Rien ne pourra changer sans la mise en œuvre de politiques publiques fortes, comme le « droit à la réparation », accompagnant une écologie populaire. Car nous sommes déjà submergés par les objets et engins en tout genre. Leur renouvellement permanent, érigé en norme par l’obsolescence programmée et le marketing du « toujours plus », est un désastre écologique.
À rebours de cette course effrénée au nouveau et au tout-jetable, il existe une écologie populaire, faite de réparation, de rapiéçage, de débrouille, de récup et de soin des choses qui nous entourent. Nombreux sont déjà celles et ceux qui s’y adonnent au quotidien et font avec les moyens du bord, parfois mus par la contrainte, mais surtout par le bon sens : bricoleurs dans les milieux ruraux précaires, garagistes de rue dans les quartiers, réparateurs informels de smartphones… Tous prolongent la durée de vie des choses et n’ont pas attendu les appels aux « éco-gestes » pour mettre la main à la pâte. C’est de cette écologie populaire, incarnée et conviviale au sens d’Ivan Illich, qu’il faudrait s’inspirer pour accompagner des changements politiques plus profonds. Et ainsi dessiner un horizon souhaitable pour une société de la réparation et de la maintenance des objets, par le bas, loin des coups de com politique du haut.
Editorial d’Olivier Cohen de Timary dans Socialter de décembre 2023.