Les élites, la république et la démocratie

Notre 21ème siècle est suffisamment avancé pour confirmer les craintes que nous éprouvions quant à l’avenir, il y a déjà une vingtaine d’années et même davantage. Nous étions alors déjà très conscients qu’il y avait le feu à la maison et péril en la demeure. Les voix les plus autorisées scientifiquement et moralement appelaient nos dirigeants à agir sans plus attendre sous peine d’être dépassés sans recours par l’emballement des problèmes de tous ordres liés au changement climatique et autres processus catastrophiques. Mais les grandes puissances, qui se disputent le leadership mondial, ne se sont pas plus émues qu’au cours des décennies précédentes. Gesticulations et simagrées écologiques se sont multipliées, sommets très médiatisés et engagements non tenus se sont succédé, retards et renoncements se sont accumulés, avec la mauvaise foi, l’incompétence et l’irresponsabilité de rigueur, si bien qu’il est effectivement trop tard désormais pour intervenir efficacement, à supposer qu’on en ait véritable-ment la volonté.

[…]

Que des élites soient choisies et mandatées pour se consacrer à la mission de gérer le système en faveur d’intérêts oligarchiques proclamés comme étant ceux de la nation tout entière, cela peut encore se concevoir. Le monde occidental a pris ce chemin-là depuis très longtemps. Les autres ont compris la leçon. Les privilégiés des classes supérieures savent que l’art de la politique, c’est de déguiser, grâce à une rhétorique adéquate, des mesures de conservation des privilèges en politiques publiques d’intérêt général. Ils demandent donc à leurs élites dirigeantes de tout mettre en œuvre pour maintenir les conditions de reproduction de l’ordre établi, avec les mises en scène nécessaires pour faire croire qu’il y va de l`intérêt de tous. Cela s’appelle faire des « réformes ». Le concept de réforme présente, depuis la réinvention de « la République » par les révolutionnaires du XVIIIème siècle, l’immense avantage formel de structurer toute l’activité du champ politique de façon bi-polaire, entre un pôle « républicain », dit « de droite » et un pôle « démocrate » ou « libéral », dit « de gauche ». Le pôle de droite est traditionnellement plus conservateur, hostile aux réformes, le pôle de gauche plus progressiste et disposé au changement, cette structuration schématique restant par elle-même assez ambiguë pour convenir à tous les sujets. Il y a toujours une gauche et une droite prêtes à s’affronter sur n’importe quels contenus. Mais ce n’est pas tant la substance des positions qui fait la gauche ou la droite que leur rapport d’opposition, ce qui explique qu’un parti « socialiste » parvenu au pouvoir, comme en France avec Mitterrand puis Jospin et Hollande, ait pu faire plus de réformes « de droite » que les gouvernements de droite eux-mêmes, au nom du nécessaire pragmatisme et du principe de réalité qui commandent les politiques d’austérité et les mesures anti-sociales. La Finance n’a jamais autant prospèré et les milliardaires ne se sont jamais aussi bien portés chez nous que depuis que la Ve République, […]

Extraits d’un article dans le journal La Décroissance d’avril 2023.

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