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Les cabinets de conseil dans l’État
Connaissez-vous Éric Labaye ? […] Nommé à la tête de l’École polytechnique en septembre 2018, ce sexagénaire […] incarne l’interpénétration croissante de l’État et du privé mise en lumière par la commission d’enquête sénatoriale, à l’initiative de la sénatrice communiste Éliane Assassi consacrée à l’influence des cabinets de conseil sur les politiques publiques.
Car, avant d’atterrir à la tête de la prestigieuse École polytechnique sur décision du Conseil des ministres, Éric Labaye était directeur général de McKinsey France, […] En 2007, en tant que directeur de McKinsey France, il siège à la commission Attali, dont un certain Emmanuel Macron est le rapporteur général adjoint. Ensemble, ils œuvrent à « la libération de la croissance française », objectif officiel de cette commission voulue par Nicolas Sarkozy, alors président. Dans la foulée, Labaye a même été le premier Français à entrer au comité de direction mondial du cabinet McKinsey en 2010.
On peine à comprendre comment cette carrière dans le conseil, aussi brillante soit-elle, a pu justifier son arrivée à la présidence de Polytechnique, fondée en 1794 pour pallier la pénurie d’ingénieurs dans la France d’après la Révolution. […]
Or les liaisons troubles entre la prestigieuse école et le secteur du conseil ne datent pas de l’arrivée de Labaye en 2018. De petits indices pas si discrets permettent de s’en apercevoir : ainsi, Lajaune et la Rouge, le journal des anciens de Polytechnique, consacre
chaque année un numéro spécial au secteur du conseil. […]Dégât collatéral de cet engouement pour le secteur privé : en 2020, l’administration a recensé 21 cas de pantouflage chez les anciens élèves de Polytechnique. Autrement dit, ces X ont filé directement vers des entreprises au lieu de servir l’État pendant dix ans, comme la loi les y oblige. En conséquence, ils sont tenus de rembourser des frais de scolarité pouvant s’élever jusqu’à 31 000 euros. Une paille en regard des salaires auxquels leur formation leur permet de prétendre, notamment dans les cabinets de conseil et pas seulement, bien sûr, chez McKinsey.
Selon le rapport du Sénat, « l’École polytechnique dispose d’un réseau de partenariats étendu : on dénombre quinze accords avec des cabinets de conseil, pour un montant annuel évalué à près de 2 millions d ‘euros. Ses principaux partenaires sont Accenture (1,1 million d ‘euros par an) et Capgemini (831 000 euros) ».
Dès lors, on retrouve en politique des personnages qui sont le pur produit de cette proximité entre Polytechnique et les cabinets de conseil. On frôle même la caricature avec Paul Midy, directeur général de La République en marche et candidat aux législatives face à Cédric Villani dans l’Essonne. Cet ancien polytechnicien de 59 ans, passé par l’UMP, a travaillé de 2007 à 2014 chez McKinsey avant de devenir brièvement directeur général de Frichti, start-up de livraison de repas. Guère étonnant de croiser désormais ce type de profil quand on sait que McKinsey, parmi d’autres cabinets de conseil, a fourni des prestations bénévoles à la première campagne d’En marche.Quant à Éric Labaye, souligne Marianne, c’est lui qui aurait imaginé dès 2012, dans une publication consacrée au marché de l’emploi en France, l’une des réformes libérales les plus dévastatrices pour le salariat de ces dernières années : le plafonnement des indemnités aux prud’hommes.
En réalité, dès l’ouverture du premier bureau de McKinsey à Paris en 1964, le cabinet a commencé à cibler les polytechniciens « très influents dans l’industrie » et obtenu rapidement des missions lucratives dans de grandes entreprises françaises comme Air France, Renault, Rhône-Poulenc, etc. Cette omniprésence, discrète à l’origine, s’étale désormais au grand jour. Et Polytechnique s’impose comme la voie royale pour atteindre le cœur de l’État.
Extraits d’un article de David Lord dans Siné mensuel de juin 2022.