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Les dérives fascistes
Il n’y a pas de régime fasciste en France actuellement, mais il y a des mouvements politiques qui propagent diverses idéologies fascistes. Enfin, il y a le fait que le fascisme a toujours été divers et opportuniste (notamment en matière de doctrine économique), même s’il y a bien une matrice commune : un projet de régénération nationale ou civilisationnelle par purification ethno-raciale et politique du corps social.
Je suis [l’historien] Zeev Sternhell quand il dit que le fascisme n’est pas né dans les tranchées de 14-18 et qu’il n’est pas mort dans un bunker de Berlin en 1945. Le fascisme a muté, il s’est adapté à un nouveau contexte, a appris à se rendre indiscernable, à se mouler dans l’idéologie
dominante (la « défense de la République », par exemple, autrefois honnie par l’extrême droite française). Et un peu partout il engrange des succès à mesure que le capitalisme s’enfonce dans la crise, que les gauches déçoivent ou trahissent, et que les mouvements d’émancipation se montrent incapables de faire émerger une alternative. »[…] Oui, la situation est pire aujourd’hui qu’en 2018 et il ne pouvait en être autrement étant donné le projet néolibéral qu’incarne et que porte Macron : une refonte de l’ensemble des rapports sociaux et même des subjectivités dans le but d’accroitre les profits par une intensification de l’exploitation. Ce qui suppose la destruction des conquêtes sociales des classes populaires, une remise en cause des acquis démocratiques fondamentaux (notamment les libertés publiques), et une surenchère raciste permanente.
La répression du mouvement des Gilets jaunes a été à la hauteur de la violence sociale intrinsèque à ce projet, mais aussi de la perte de légitimité du pouvoir politique et du projet néolibéral qu’ont porté tous les gouvernements depuis les années 1980.
Quand vous n’êtes disposé à rien concéder de sérieux à la classe travailleuse, quand vous brisez méthodiquement les éléments du « compromis social » d’après-guerre et quand vous méprisez les mouvements sociaux (notamment les organisations syndicales), la domination politique peut de moins en moins s’exercer pacifiquement, en particulier face à un mouvement qui n’accepte pas de se plier aux règles habituelles de la conflictualité sociale. »[…]
Les gouvernements qui se sont succédé ces vingt dernières années ont tous contribué à l’autonomisation de la police et à la puissance politique dont bénéficient les syndicats de police aujourd’hui, dont les positions sont relayées largement – ce qui est un fait nouveau – par des médias ultra-complaisants. L’intensification de la répression est une spirale très difficile à stopper : la substitution progressive de l’État pénal à l’État social, pour reprendre les termes de Loïc Wacquant, ne peut qu’aboutir à toujours plus de criminalisation de la pauvreté et d’inégalités. Ce sont de parfaits ingrédients pour maintenir ou accroître la petite délinquance (en sachant par ailleurs que, sur le temps long, la criminalité la plus grave a baissé), justifiant aux yeux des médias et des gouvernements l’intensification de la répression.
Mais il faut voir également que les appareils de répression poussent leur avantage et en particulier, en leur sein, les secteurs les plus réactionnaires, gagnés ou en passe d’être gagnés au projet néofasciste : il suffit de lire les tribunes des militaires dans Valeurs actuelles pour voir que c’est tout le langage et toute la vision du monde propre à la fachosphère qui y sont repris. Je ne crois pas du tout à un coup d’État militaire, mais ce que tout cela signale, c’est un processus de fascisation de l’État qui fait que l’extrême droite, si elle parvenait au pouvoir, trouverait un soutien massif du côté des appareils de répression pour faire ce qui est au cœur de son projet : instaurer un régime d’apartheid racial sous couvert de « défense de la France »; écraser toute capacité d’action politique des exploité-es et des opprimé-es.
Extraits d’un entretien avec le sociologue Ugo Palheta (La possibilité du fascisme) dans le mensuel CQFD de juin 2021.