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Capitalisme, démesure et autodestruction
La société autophage, sous-titre : Capitalisme, démesure et autodestruction, est le dernier essai d’Anselme Jappe.
Ci-dessous un extrait d’un article de Renaud Garcia dans CQFD de décembre 2017.
Si l’auteur n’a aucune sympathie pour les cravateux innovants et les start-uppers branchés, il ne cherche pas à ferrailler avec les capitalistes pour espérer les « moraliser », restaurer entre eux les conditions d’une saine concurrence (comme au temps béni du « compromis fordiste ») ou dénoncer leur penchant immodéré pour la concussion. En réalité, même dirigées par des managers éclairés, les entreprises continueraient de rechercher un retour sur investissement. Et cette obsession de la rentabilité a pour effet de dissoudre inévitablement nombre de valeurs morales et sociales que le capitalisme n’a pas créées, mais sans lesquelles il n’aurait pu jusqu’ici éviter de sombrer dans l’abîme.
Ainsi, au lieu de chercher sans cesse à améliorer le cadre, à coup de lutte pour l’emploi, de réindustrialisation ou de présence « citoyenne » à l’Assemblée – trois attributs essentiels de toute « ruffinade »-, Jappe sort du cadre et dévoile notre fascination fétichiste pour des créations devenues idoles : la valeur marchande et sa matérialisation dans l’argent, le travail abstrait (sans qualité) et la croissance, dont la santé nous inquiète si régulièrement. Voilà les totems de notre auto-dévoration.
Cette face objective de la domination capitaliste se double d’une face subjective, nichée au sein même de la psyché humaine. L’inconscient historique se réfracte dans l’inconscient subjectif. De Descartes à Sade et Max Stirner – deux vaches sacrées de l’extrême gauche transgressive – en passant par Kant, l’auteur fait l’archéologie d’un sujet oscillant entre « fantasmes de fusion » et « désirs régressifs » d’un retour à l’unité originaire.
En bon lecteur de Hegel, Jappe montre comment l’hégémonie actuelle du sujet narcissique signale ce moment vertigineux où le capitalisme, débarrassé de la plupart de ses entraves pré-capitalistes, vient à la rencontre de son concept. Et, insiste-t-il, cette advenue à soi ne se soutient désormais que par l’imaginaire techno-furieux de tous ceux qui voudraient dépasser l’humain en direction de la fabrication concertée d’une espèce augmentée, dénuée de failles et de manques. Ici encore, l’analyse se situe aux antipodes de la fièvre transhumaniste qui semble même toucher les « Insoumis » pour lesquels, lit-on parfois sur des affiches de com’, il s’agirait de « dépasser les frontières de l’humain ».
[…]
Ce qui a réellement changé, ce n’est pas le réservoir fantasmatique de violence et de toute-puissance au cœur du sujet, c’est la levée des divers garde-fous qui freinaient le passage à l’acte, hérités d’époques antérieures et progressivement éliminés par une vie tout entière soumise aux impératifs de concurrence, de rendement et de croissance sans limite. « Plus la société fondée sur la valeur et la marchandise, le travail et l’argent triomphe, plus elle détruit ces reliquats, et avec eux ce qui l’empêche de se précipiter elle-même dans la folie inscrite depuis des siècles en son cœur. »
Les massacres de masse contemporains sont ici soumis à une interprétation systémique particulièrement éclairante, dont les trajectoires morbides d’un Stephen Paddock (le tueur de Las Vegas) ou d’un Devin Kelley (le tueur du Texas) ont offert récemment la malheureuse confirmation.
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